Les causeries de France Gelbert

Marie Stuart (1542 - 1587)

L'Ecosse... le seul nom de cette étrange, sauvage contrée nous attire tous. Le touriste, lorsqu'il circule sur cette terre, est environné de nuées mystérieuses, traverse des brouillards si denses qui masquent le sol. Il fraye son chemin à travers des brumes que le soleil n'arrive pas à percer mais, et c'est curieux, cela n'a aucune importance!
L'Ecosse ne serait pas l'Ecosse sans cette atmosphère funeste : quelque elfe ou lutin vont certainement surgir derrière une colline, un rocher!

Nous sommes au XVIe siècle, époque prestigieuse pour la France où les châteaux défensifs deviennent demeures de plaisance, d'agrément (aujourd'hui, régal éternel pour nos yeux émerveillés).
Mais il n'en va pas de même en Ecosse. Les logis seigneuriaux sont d'énormes forteresses faites pour la guerre, éternelle guerre entre tribus et seigneurs à demi sauvages, qui maintient le pays dans un état de misère extrême.
La richesse, si on peut appeler cela la richesse, ne se compte pas en monceaux d'or, comme en France ou en Angleterre, mais en nombre de moutons. Le roi Jacques V d'Ecosse en possède dix mille, c'est là tout son avoir...
Appauvrie par ses luttes fratricides, l'Ecosse, fortement convoitée par un grand et puissant voisin l'Angleterre, est et sera toujours un enjeu, ou plutôt un jouet, une espèce de hochet entre les mains des autres royaumes. La France aura des liens très étroits avec l'Ecosse, affectifs, familiaux, mais surtout politiques. Elle soutiendra, entretiendra de ses deniers, tous les ennemis de l'Angleterre, ceci pendant des siècles. Bien sûr, la carte du papisme contre le protestantisme et une haine qui perdure depuis, peut-on dire, le XIIe siècle! La France tentera de maintenir l'Ecosse hors de portée des griffes de ce voisin gourmand, l'Angleterre, qui ne veut certainement pas être prise en étau entre l'Ecosse et le continent.
Cet état de chose durera jusqu'en 1603, date à laquelle un Stuart succède à Elizabeth Ie, reine d'Angleterre. Curieux ricanement de l'histoire, ce Stuart n'est autre que le propre fils de la rivale honnie, détestée et victime de la fille d'Henry VIII Tudor. Il est le fils de Marie Stuart, reine d'Ecosse, reine de France, descendante au même titre que la souveraine d'Angleterre du fondateur de la tige Tudor : Henry VII (1457-1509).
A ce moment, à ce moment seulement, l'Ecosse avalée par l'Angleterre, composera une partie de ce qui va désormais s'appeler la Grande- Bretagne : Jacques VI Stuart devient Jacques Ier d'Angleterre, protestant (nous allons voir comment) et sera le premier roi de Grande- Bretagne.

Soixante et un ans avant l'avènement de ce Jacques Stuart, en 1542, naquit à Lilinthgow en Ecosse, une petite princesse Stuart, Marie, fille du roi Jacques V et d'une Française, Marie de Guise.
Pauvre petite princesse née dans des conditions déjà dramatiques. En effet, dans un château voisin, son père agonisait. Un père cultivé, enjoué, au destin terrible, tiraillé entre les humeurs belliqueuses de ses sujets et l'appétit d'un puissant voisin, Henry VIII Tudor, dont il désapprouve fermement les projets d'abandon de la religion catholique. Epuisé par des luttes intestines incessantes, il meurt et, à l'âge de six mois, sa fille Marie est reine d'Ecosse. Au berceau, Marie devient aussitôt un objet de convoitise, ballottée par les ambitions politiques de chacun!
Tel sera son destin. Il semble aussi qu'elle n'ait vraiment jamais été dans le coup, si je puis m'exprimer aussi familièrement! Reine d'Ecosse, puis reine de France, elle vivra jusqu'à ses tous derniers instants, fièrement, sa dignité et sa naissance de reine, transcendée par son état mais, paradoxalement, le vivant très naïvement. Ce charme, cette beauté tant loués par ses contemporains seront étouffés par une innocence parfois proche de la bêtise et par cette naïveté sur laquelle sont d'accord la plupart des historiens.
Dieu sait que la personnalité, le caractère de la reine d'Ecosse ont été controversés et étudiés dans les innombrables biographies qui lui ont été consacrées. Pour les uns, Marie est une sainte (il est vrai qu'elle meurt martyre de sa foi et de sa profonde conviction de son droit divin), ou bien un personnage s'entêtant à paraître un grand roi. Pour d'autres, Marie est un être incapable de réfréner caprices, humeurs, coupable de faiblesse, d'indécision: graves défauts qui vont la pousser à des actes de traîtrise, voire crimes!

Marie possédait des dons rares dont ce courage que personne ne pourra jamais nier, mais sa vanité, donc sa bêtise, lui ôteront toute chance de réussir sa vie, tout simplement...sa vie qui, finalement, n'aura été qu'un drame.

Marie Stuart est tout de suite demandée en mariage par le roi d'Angleterre Henry VIII. Il la désire pour son fils Edouard, et voit là un excellent moyen de mettre la main sur ce pays du nord. En même temps, il expédie une armée, les Ecossais ne reconnaissant que la force!
Mais Marie de Guise, mère de l'enfant et régente, est une fervente catholique et elle est française! Elle ne veut pas entendre parler d'union avec un schismatique! un excommunié! le roi d'Angleterre a plutôt mauvaise réputation! il a déjà coupé la tête à deux de ses épouses (la dernière tout récemment!). Il faut ajouter encore la clause secrète selon laquelle, en cas de disparition prématurée de Marie, l'Ecosse reviendrait à l'Angleterre! cette clause est inadmissible, donc on cache l'enfant qui va être amené en France par un corps expéditionnaire envoyé par le roi de France Henri II. Ce dernier désire fiancer la petite fille, elle n'a que cinq ans, au dauphin François, futur François II.
Accompagnée de quatre petites filles de son âge appelées Marie , elle s'embarque pour le premier chapitre de son destin... la France!

La France, Marie Stuart y vivra de 1548 à 1560 et, dès son arrivée, reçoit un accueil fastueux digne de cette cour des Valois organisée par François Ier.
Tout est à la taille de la princesse : armée d'enfants habillés en hallebardiers et musiciens, ceci dans chaque ville. A Saint-Germain, enfin, présentation du chétif et rachitique dauphin, François.

Marie devra se familiariser, comme Elizabeth Tudor, comme Marguerite (la reine Margot), avec tous les arts, apprendre le grec, le latin, l'italien, l'anglais, l'espagnol. Le prestige de la cour des Valois va trouver son apothéose chez la petite reine d'Ecosse: elle peint, danse, rime, déclame avec autant de bonheur qu'elle chasse! Elle est douée pour toutes choses, allie la beauté de l'esprit à la beauté du corps. Ah! les poètes vont s'en donner à coeur joie: Brantôme, expert en descriptions de la gent féminine, s'écrie :
- Venant sur les quinze ans, sa beauté commence à paraître comme la lumière en beau plein midy !
Joachim du Bellay délire :
- Contentez-vous, mes yeux, vous ne verrez jamais chose plus belle ! Et ce cher Ronsard également éperdu d'admiration devant Marie et la fille de Catherine de Médicis, Margot!

Voici une dauphine parée de tous les dons, l'extérieur est superbe, mais on ne connaît pas encore l'âme. Elle est précoce, c'est sûr, est- ce la raison pour laquelle la cour décide de hâter le mariage? Ne seraient-ce pas plutôt les inquiétudes suscitées par l'état de santé du dauphin? Bien sûr, il s'agit, avant tout de s'assurer la couronne d'Ecosse. A ce sujet, la puissante famille des Guise lui fait signer un document léguant son pays à la France, en cas de mort prématurée (décidément, tous ces potentats pensent à la même chose : l'annexion de l' Ecosse à n'importe quel prix!) et le comble, léguant aussi ses droits à la couronne anglaise. Marie signe ce triste marché, pauvre enfant... elle est prise dans l'engrenage! Toute cette sordide affaire est cachée sous les brocarts et les ors des noces royales en 1558.

Cette même année, Elizabeth Tudor monte sur le trône d'Angleterre, sa soeur venant de mourir. Cette accession ne se passe pas sans polémique, car Elizabeth a tout d'abord été déclarée bâtarde, donc la France, ravie, déclare Marie Stuart héritière légitime et reine d'Angleterre, en lieu et place d'Elizabeth. Si, à ce moment là, les armes à la main, les Français avaient installé Marie à Westminster, peut-être la face du monde aurait-elle été changée? Mais les atermoiements, la maladresse du roi de France ne font qu'irriter Elizabeth et déclencher sa haine. Plus encore, Henri II fait ajouter aux armes France et d'Ecosse, celles d'Angleterre.
L'ennemie d'Elizabeth devient reine de France le 10 juillet 1559. Henri II vient de succomber à un accident survenu lors d'un tournoi! Désormais, Marie Stuart passe devant la reine-mère, Catherine de Médicis qui ne le lui pardonnera jamais! Vanité, sotte vanité! Marie, fort impertinente d'ailleurs, l'appelle la marchande, la banquière!

Marie est reine épouse de roi. Oui, mais quel roi! Rongé par la tuberculose, constamment surveillé par des médecins, parmi lesquels le grand Ambroise Paré. Marie se serait beaucoup occupée du roi, l'aurait entouré. Elle prend conscience de l'agitation huguenote, doit assister à des exécutions capitales, apprend la mort de sa mère Marie de Guise qui gouvernait l'Ecosse en son nom. Une régente assaillie par l'état de rébellion perpétuel des lords, agressée aussi par un agitateur exalté, fondateur du presbytérianisme, John Knox.

Les événements se précipitent, Marie ne portera désormais que le titre de reine d'Ecosse, car le très jeune roi de France vient de rendre le dernier soupir après une année de règne insignifiant.
Marie Stuart, entièrement vêtue de blanc (couleur de deuil des reines de France) ne peut être que spectatrice lorsque la Médicis reprend le sceptre des mains de son fils mort et révèle enfin, au monde ébahi, quelle femme elle est!

La grande question à présent est celle-ci : Que va-t-on faire de cette jeune veuve? Il faut lui trouver un nouvel époux! On lui propose le fils d'un autre roi de l'Occident chrétien, Don Carlos, prince dément, fils du roi d'Espagne Philippe II. Il n'est pas question pour Catherine de Médicis d'accepter cette union, la France serait prise en étau au nord et au sud par l'Espagne... impossible!
Non, il faut renvoyer Marie en Ecosse et au plus vite!

Et pourtant, d'autres souverains lui proposent de partager leur trône, le roi de Suède, le roi du Danemark. Autre éventualité, elle pourrait rentrer au couvent, destin très bien considéré pour une veuve de roi! Non, là n'est pas le destin d'une Stuart, elle possède un royaume aux brouillards épais et mystérieux, elle en est la souveraine incontestée de par sa naissance et ce, depuis l'âge de six mois!
Mais ce n'est pas de gaieté de coeur qu'elle quitte le doux royaume de France, le luxe, la légèreté, l'insouciance. Les bords de Loire n'ont rien de commun avec les sauvages montagnes écossaises.
Celle qui paraissait avoir été touchée par la baguette des bonnes fées, ne sait pas encore qu'elle est entrée dans la partie maléfique de sa vie, et que, dorénavant, tous ceux qui l'aimeront, l'approcheront, seront, à leur tour, marqués par le signe de malédiction.
Mais Marie s'en va, elle part entraînée par son demi-frère Jacques Stuart, bâtard de son père, converti à la religion réformée et sûrement à la solde de la reine d'Angleterre. Cette reine si rusée et parfois suspecte, mais grande et clairvoyante, va commettre une première faute en refusant à sa cousine Stuart, un sauf-conduit lui permettant de traverser l'Angleterre, l'obligeant ainsi à naviguer le long des côtes pour rejoindre son pays. Déjà perce, chez la Tudor, la haine. Par ambassadeur interposé (elles ne se rencontreront jamais !), Elizabeth lui reproche les armes royales anglaises accolées aux armes françaises. Mauvais arguments, car ces armes ont disparu depuis la mort de François II!

Peut-être faut-il voir là le début de cette jalousie qui va empoisonner la vie de ces deux femmes. D'un côté, Marie, insouciante, légère, charmeuse, louée pour sa beauté, devenant inaccessible, dure, dès qu'il est question de sa souveraineté, de sa dignité de reine, mais oubliant son honneur sous l'emprise de la passion. De l'autre, la souple, dissimulée Elizabeth, si grande reine en son royaume. Ces deux femmes, face à face, ajoutent au côté dramatique de ces destinées qu'aiment les poètes, car ils y trouvent source d'inspiration et les historiens... de controverse!

Premier acte, l'arrivée de Marie Stuart en terre natale est un désastre, quelques autochtones rudes regardent débarquer ces dames et gentilshommes somptueusement vêtus, habitants venus d'une autre planète. L'Ecosse est aussi une autre planète pour la jeune reine. Pays pauvre, comment une jeune fille de dix-neuf ans, sans aucune expérience, pourrait-elle gouverner cette contrée où règnent la corruption, la guerre de religions, de clans, un voisinage ennemi (l'Angleterre, bien entendu)?

Les lords écossais sont, pour la plupart, calvinistes. Occasion supplémentaire pour lutter contre la reine, aidés, en sous main, par l'argent anglais. Elizabeth a son homme de fer en Ecosse: le demi-frère de Marie, Jacques Stuart, que nous appellerons à présent Murray, bâtard que la flétrissure a endurci. Un autre homme, protestant lui aussi, sera l'ami des beaux jours et non pas des mauvais, un nommé Maitland. Marie tente de régner avec l'aide de ces deux hommes, subissant, comme sa mère, les attaques tonitruantes d'un John Knox déchaîné! Celui qui vitupère contre les femmes au pouvoir. Il représente, dit-il, la soumission totale des souverains à un système de gouvernement divin, à Ses commandements, ceux de Dieu ou les siens? Knox est un fanatique religieux, un exalté dangereux comme tous les siècles en connaissent, hélas, dangereux comme tous les extrêmes!
Reçu par la reine d'Ecosse, il ressort du palais clamant sa haine, prétendant s'être trouvé en présence de Satan. Marie est profondément catholique, pas de cette foi passionnée rapportée par ses hagiographes, mais plutôt par éducation ou tradition. La famille de Lorraine, les Guise, sont papistes et elle ne veut pas faillir. Qu'aurait-elle fait si elle avait su que les Guise étaient aussi des fanatiques, des insensés qui se sont d'ailleurs demandés un jour s'il ne serait pas dans leur intérêt de... se convertir à la religion réformée!
Mais elle ignore tout cela et, pour l'instant, attire l'attention de ses sujets grâce à son charme, son sourire. Elle a transporté dans ce pays, son intrépidité, sa force, car il s'agit de force physique et de force d'âme à la fois. Elle est née souveraine, mais d'un trop petit état, à son avis. Cette petite Calédonie peuplée de barons dissipés et de bergers frustes! Pour lutter contre cette grisaille, elle crée dans une tour du palais d'Holyrood, une Mini-France. Là, on danse, on fait de la musique, on joue la comédie avec de jeunes soupirants, tel Chastelard le poète qui paiera plus tard cette faveur sur l'échafaud. Une victime de plus!

La volonté des lords et du parlement, est que la reine d'Ecosse se remarie, mais ils veulent une union utile à leur politique, bien évidemment! Voila qui nuit au fragile équilibre existant entre les deux cousines, la reine d'Angleterre et la reine d'Ecosse. En effet, si l'une d'elles se marie, cela risque de faire basculer le monde du côté de Rome ou du côté de la religion réformée. Le choix que pourrait faire Marie Stuart est terriblement important, car imaginons que la reine d'Ecosse épouse un Habsbourg catholique, l'Angleterre se trouverait en grand péril!
Les époux potentiels sont loin d'être à la hauteur exceptionnelle de ces deux femmes. Un Philippe II d'Espagne qui n'a pas l'envergure de son père Charles-Quint, un Charles IX de Valois, enfant faible qui s'illustrera de façon sinistre, peut-être poussé par sa mère, dans la nuit du 23 au 24 août 1572, lors du drame de la Saint Barthélémy.

Terrifiante époque en vérité, dominée par des hommes... et des femmes sanguinaires, vivant dans une période sanguinaire : Henry VIII Tudor, ses filles Marie et Elizabeth, Philippe II d'Espagne, Catherine de Médicis etc.

Marie n'échappera pas à cette atmosphère, mais elle représente la féminité qui, hélas, sera salie par des passions lui faisant perdre son honneur.
Il paraît qu'Elizabeth, elle, n'a jamais été qu'une demi-solde. En a-t- on donné des explications sur cette anomalie physiologique! le mystère demeure. Là, est peut-être le secret de sa grandeur de chef d'état, mais aussi de cette jalousie dévorante qui la rendra féroce!

La reine d'Ecosse restera, tout le long de son règne, dans le droit fil de la routine héréditaire et cherchera amis et soutiens chez les piliers déjà branlants de la vieille Europe.
La reine d'Angleterre se tourne vers la nouveauté. On ne l'aime pas sur le continent, on la traite de bâtarde, d'hérétique, elle est excommuniée par le pape! Fort bien. Elle enverra plus loin ses gens, posera des jalons en Perse, en Russie, poussera ses navires vers le prestigieux Nouveau Monde. Elizabeth vit pour l'Angleterre. Aucune passion, aucun désir, jamais, ne prendront le pas sur son royaume... à n'importe quel prix, hélas!

Marie Stuart ne vit pas pour l'Ecosse, non, elle veut seulement en être la souveraine. Elle sacrifiera son pays, le bien général à son égoïsme, sa vanité...
La rivalité de ces deux femmes est malheureusement si sordide, si mesquine, qu'elle perd toute sa valeur : jalousie, jalousie, voila le fond de ce drame! elles ne se rencontreront jamais, couvrant leur haine de lettres gracieuses empreintes de fausseté et d'hypocrisie. La question des prétendants, par exemple! Elizabeth préférerait, pour Marie, un prince danois ou mieux, un gentilhomme écossais, et le lui dit dans une missive emplie de fausse sollicitude fraternelle. Réponse de la princesse écossaise : oui, elle accepterait, mais à quel prix? Sera-t-elle, oui on non, déclarée héritière d'Elizabeth?
La reine d'Angleterre va lui proposer le plus étrange des candidats... son favori, Robert Dudley, comte de Leicester! Il s'agit de la pire des injures, car elle n'en a plus l'usage et s'en débarrasse de cette façon. En solde, en quelque sorte! Plus encore, il est soupçonné du meurtre de son épouse, peut-être avec la complicité d'Elizabeth! Il a tout pour plaire, cet homme!

Un autre candidat entre en lice, petit soupirant incongru, un Stuart cousin de Marie, descendant également des Tudor. Il s'appelle Henry Darnley. Il a dix-huit ans et est catholique. Mais c'est un jeune homme falot, vaniteux et sans aucun intérêt, jusqu'alors en exil à la cour de Londres.

De cet homme, presque un adolescent, la reine d'Ecosse tombe amoureuse. Ce jeune imbécile flatte tout le monde: catholiques, protestants, le secrétaire Riccio, le régent Murray, demi frère de la reine, qui ne voit pas ce mariage d'un très bon oeil, craint le papisme et soupçonne avec raison le futur consort de convoiter la couronne.
Murray se cache dans l'ombre, mais continue à tirer les ficelles. Elizabeth, hors d'elle, promet à Marie sa succession si elle agrée Leicester. Mais la reine d'Ecosse veut Darnley et passe outre en 1565. Le benêt aura le titre de roi.

Jour des noces, jour de fête, sauf pour John Knox, le prédicateur dément, qui vient de convoler avec une jeunesse de dix-huit ans! Il a tous les droits, Marie aucun.
Elizabeth se vengera en continuant à alimenter d'argent anglais les caisses de rebelles écossais toujours prêts à se dresser contre l'ordre établi. C'est la guerre. Marie est à la tête de son armée, jamais fatiguée, décidée à faire courber la tête aux barons, aidée par un nouveau venu, un nommé Bothwell...
Darnley, l'adolescent stupide, le roi comblé de bienfaits et gonflé d'orgueil, finit par exaspérer Marie qui, vexée et frustrée, lui retire sa confiance et son amour. Elle sait pourtant qu'elle attend un enfant, Darnley ne supportera pas, bien entendu, d'être ainsi écarté! Mais, à présent, l'aversion de Marie à l'égard de son époux est définitive. Elle trouve un remplaçant en la personne d'un vague musicien piémontais, rimeur et chanteur, à qui, dans un moment de folie, elle confie le sceau royal. Le laquais devient chancelier!

Un homme réapparaît, on lui donne le pouvoir militaire, il s'agit de Lord Bothwell, de confession vaguement protestante, fidèle à Marie de Guise et à sa fille.

Une fois de plus, les lords se rebiffent et craignent, quant à la branche protestante, le retour au papisme. Ils décident la mort de Riccio le Piémontais, favori de la reine. L'instigateur de cet assassinat n'est autre que le roi déchu Darnley. Fou de jalousie, il s'est jeté dans cette conspiration et est signataire du Bond . Peut- être Darnley espère-t-il reprendre, avec l'aide des lords, le pouvoir et son épouse? Les lords, eux, auraient espéré se débarrasser de la reine, par la même occasion!
On connaît les détails par les missives adressées par l'ambassadeur d'Angleterre à sa souveraine Elizabeth, dans lesquelles il lui révèle la suprême bêtise du roi d'Ecosse qui exige d'être présent au moment de l'assassinat... dont la date est fixée : le 9 mars. Ce soir là, la reine ne se doute de rien et le crime sera perpétré, devant elle, en toute quiétude.
Marie ne pardonnera jamais à son époux l'horreur de ces instants. Retenue prisonnière dans son palais d'Holyrood, peut-être l'a-t-elle déjà condamné? Cette situation va aiguiser son courage et sa ruse. Profitant de son état, elle joue la faiblesse, parvient à prévenir Bothwell, et décide de tenter de s'enfuir. Ce qu'elle va faire. La reine indomptable, dont le fils naîtra dans quelques mois, saute à cheval et court se réfugier au château de Dunbar.
Au petit matin, les conjurés trouvent la cage vide et commencent à s'inquiéter de leur propre sort, se sentant abandonnés par Darnley. Ce méprisable et vil époux deviendra père le 9 juin 1566. - Il est le père de mon fils, assure la reine!
Elle a tout de même l'intention de mettre l'héritier à l'abri des entreprises paternelles! Marie envoie un messager à sa cousine anglaise, lui annonçant la naissance de son enfant.
Elzabeth aurait ainsi exprimé son désespoir :
- La reine d'Ecosse vient de mettre au monde un fils, et moi je ne suis qu'un tronc stérile!

La femme restera marquée, mais la reine propose d'être la marraine de cet enfant dont elle ignore encore qu'il sera son successeur et réunira sous son sceptre les deux royaumes.

La monarchie écossaise entre alors dans une de ses périodes les plus troubles. La reine doit trouver un moyen de se débarrasser de cet époux fade et félon, mais comment? Il ne veut qu'elle et la poursuit. Elle est à la recherche d'un être fort et fidèle, qu'elle croit enfin avoir trouvé : Bothwell, défenseur de la veuve et de l'orpheline! Il allie force physique et absence de scrupules. Une espèce de guerrier qui détruit et écrase tout ce qui lui résiste et, une fois le but atteint, repousse du pied, hors de son chemin, le ou la victime désormais sans intérêt! Il ne court pas après les femmes, ce sont les femmes qui courent après lui. Mieux, il n'est pas seulement un mâle, non, il est aussi un être cultivé, instruit... Portrait édifiant!

Marie Stuart, au début, va l'utiliser en tant que chef des armées, lui choisit même une épouse.
Les lords le haïssent, mais le craignent et, pour un temps, la paix règne, sauf dans le coeur de Darnley. Le proud fool (fier imbécile) voudrait bien s'enfuir, mais la reine a besoin de lui lors des cérémonies de baptême de leur fils, célébré en présence des ambassadeurs de France, d'Espagne et de Savoie. Pourtant, l'époux dédaigné, repoussé, refusera de paraître et laissera sa place à... Bothwell dont l'image fait fuir Darnley, mais naître chez Marie, une passion qui va finir par la dévorer, l'annihiler.

Durant de nombreuses pages, l'historien Stephan Zweig analyse le mot passion. Tout un chapitre est consacré à la force inouïe que va subir la reine d'Ecosse. Une étude intéressante! L'historien tire ses preuves de lettres de Marie, lettres dont elle ne contestera pas, hélas, la véracité. Seule, la reine est capable de les rédiger, sous forme de sonnets, et en français! Ces lettres révèlent la passion qu'elle ressent, sa complicité lors du crime, son bouleversement intérieur si poignant, mais aussi sa faiblesse coupable. D'ailleurs, elle le sait. Cette passion va la faire descendre très bas dans l'humiliation et lui faire perdre sa dignité :

Pour luy depuis j'ai mesprisé l'honneur
Ce qui nous peust seul pourvoir de bonheur
Pour luy j'ay hazardé grandeur et conscience
Pour luy tous mes parents j'ay quitté et amys...

Pour garder son amant, Marie lui propose... la couronne! c'est une histoire incroyable! il y a déjà un roi d'Ecosse, Darnley. Cela signifie donc la disparition de ce prince. La préparation du crime se profile. Bothwell s'en occupe, Marie doit rester dans l'ombre. Mais il est sûr qu'elle approuve.
La future victime se terre chez son père à Glascow. La reine a pour triste tâche de l'attirer dans un dernier rendez-vous... avec la mort! Obéissant aux ordres de Bothwell, elle attire, comme une araignée, son époux dans une toile assassine, s'installe avec le roi, afin de montrer au monde qu'elle en prend soin puisqu'il est malade!
Cette attitude nouvelle étonne les lords et Murray.

Le dimanche 9 février 1567, on célèbre les noces de fidèles serviteurs à Holyrood. Marie, avant de s'y rendre, va prendre des nouvelles de Darnley à son gîte, puis revient au palais au son des cornemuses. Tout le monde l'a vue. Elle a un alibi en acier, Bothwell y a veillé.

Le lendemain matin, à l'aube, des messagers viennent avertir Bothwell que la résidence où logeait le roi a été l'objet d'un terrible attentat, une énorme explosion, où ont péri et le prince et ses serviteurs... La reine est prévenue que son époux vient d'être assassiné par des inconnus.
Eh! bien, la voila débarrassée d'un obstacle à sa passion. Elle aurait dû alors jouer le personnage effondré de douleur, afin de détourner les soupçons. Cela lui est impossible, elle n'est qu'un pantin disloqué, sa volonté a disparu, sa personne soumise corps et âme à Bothwell. Elle n'a plus de force et ne montre qu'apathie et indifférence. Toutes les cours d'Europe sont averties de cet assassinat qui, assurent les secrétaires de la reine, la visait. Quel mensonge! Le peuple d'Edimbourg a pu assister à son retour très peu discret dans la ville. De toutes façons, tout le monde s'en moque. Pas de procès-verbal, pas l'enquêtes, de fermetures de frontières, ni de recherches de suspects. Il faut faire vite, porter le cadavre en terre avant que quelqu'un ne s'avise (mais cela n'a l'air d'intéresser personne!) que le défunt roi a été étranglé ou empoisonné avant l'explosion. Bref, l'Affaire est étouffée. L'ancien roi d'Ecosse sera jeté, sans autre forme de procès, sans catafalque somptueux, sans veuve pleurante, sans canon tonnant... au fond d'une fosse, peut-être commune.
Paix à son âme!

Bothwell, le meurtrier, fait semblant de rechercher les coupables, promet une récompense. Le peuple d'Edimbourg la flaire cette récompense: un coup de poignard bien placé, c'est sûr! Alors, pendant la nuit, des affiches sont placardées sur la place du marché. On peut lire les noms des assassins, celui de Bothwell se retrouve sur toutes les listes!

Eh! bien, reine d'Ecosse? Qu'attendez-vous? Qu'attendez-vous pour jeter les meurtriers dans un cul-de-basse fosse, alors que le pays entier connaît leurs noms?
La reine ne fera rien. Bien au contraire, provocante, elle reçoit Bothwell, l'homme qui a tué son époux!

Cette attitude va jeter l'opprobre sur la dignité royale, pensent les cours étrangères. Le pape Pie V la dénonce. Pas un souverain n'est dupe! Ils connaissent tous la vérité. Ils ne condamnent pas le crime politique... ils en ont vu d'autres! Tous, peut-être disciples de Machiavel qui n'est pas mort depuis longtemps (1469-1527), celui qui incitait peut-être le Prince à la ruse et non au crime.
Les Grands de ce monde pensent que ce sont des crimes excusables et désirent, par dessus tout, la discrétion, le secret. Ils ne veulent rien avoir à faire avec la valetaille, auteur des basses oeuvres! Or Marie, non seulement ne fait rien pour écarter les soupçons, mais s'affiche avec le meurtrier! Situation impossible!
Parmi ses pairs, certains veulent ou semblent vouloir l'aider. En réalité, ils veulent sauvegarder le prestige de leur état. Parmi ceux- là, la reine d'Angleterre qui a vécu un drame semblable, l'épouse de son favori Leicester fut retrouvée assassinée. Le mystère ne fut jamais élucidé et l'incident clos! Elle conseille donc à Marie Stuart de châtier énergiquement le coupable :
-Je vous exhorte, vous supplie de frapper même celui qui vous est le plus cher !
Il est trop tard. Marie n'entend rien, n'écoute personne sauf l'être malfaisant qui partage sa couche, et fait répondre de façon évasive au père de la victime, le comte de Lennox, qui se plaint de l'inefficacité de l'enquête. Lennox lui fait envoyer une liste sur laquelle est inscrit le nom de Bothwell.
En fait de compte, l'opiniâtreté d'Elizabeth Tudor, la désapprobation (le mot est faible!) de Catherine de Médicis, obligent la reine à l'ouverture d'un procès où sera jugé le meurtrier. Ce dernier fait régner la terreur, intimidant juges et témoins.
Apeuré, le tribunal, ACQUITTE l'assassin en l'absence du premier accusateur Lennox, qui ne peut risquer sa vie dans ce coupe-gorge. Bothwell, sûr de lui, promène sa vanité et va bientôt se déclarer digne de devenir l'époux de la reine et, par voie de conséquence, peut-être, se poser la couronne sur la tête?

Shakespeare, vers 1600, écrira Hamlet; inspiré par la vie d'un prince danois du IIe siècle. Puis, vers 1605, un autre drame Macbeth, histoire authentique d'un roi d'Ecosse du XIe sièle.
Macbeth est la parfaite reconstitution de la tragédie Stuart. Marie est une lady Macbeth de plus en plus assujettie à sa fatale passion et doit, croit-elle, précipiter ses épousailles, car elle attend un enfant de l'assassin de son époux!
Bothwell lui propose alors un nouveau rôle : celui de la femme violentée, car une reine ne peut épouser un homme de rang inférieur. Un plan machiavélique est conçu.
Détail intéressant, la reine d'Angleterre sera mise au courant de leur projet, par ses espions, le jour précédant l'événement...

Voici ce qu'il advint. Revenant d'une visite rendue à son fils, Marie est capturée par l'infâme et tenue en captivité! Elle aurait alors subi les pires outrages!
Le divorce de Bothwell étant prononcé, il peut rendre son honneur à la reine! Une sombre comédie!
La désillusion des lords est immense lorsqu'ils voient revenir leur reine en compagnie de son ravisseur qu'elle a décidé d'épouser. En prenant cette décision, Marie Stuart piétine à jamais son honneur, sa dignité. En posant sa main dans celle du meurtrier d'Henry Darnley, Marie ne sait pas encore dans quel abîme elle vient de tomber! Le nouvel époux se montre inquiet. Il connaît la haine des lords à son endroit, celle du peuple écossais. Bothwell, pris par une peur panique, s'enfuit...
Il fuit, abandonnant la reine qui, toujours possédée, se traîne derrière lui et se trouve bientôt en face de l'armée des lords. Marie sera obligée de négocier la vie de Bothwell contre son retour, seule, à Edimbourg.


C'est le commencement de la fin, hélas!
Ramenée dans sa capitale, elle est enfermée dans la prévôté, puis, sous les huées et les menaces, conduite au château de Lochleven, situé sur un ilôt au milieu d'un lac.

La reine d'Ecosse a perdu son royaume, l'homme haïssable dont elle était l'esclave, mais, et c'est le mystère de cette forte personnalité, dans des situations désespérées, vaincue et abandonnée, seule contre tous, Marie retrouve la force, la volonté, le courage qui vont lui permettre de renouer avec l'honneur.En Juin 1567, commence une longue captivité. La reine d'Ecosse est prisonnière de ses sujets.
C'est un fait très important, car cela va à l'encontre de toutes les lois monarchiques. Il ne peut encore être question de s'attaquer à un souverain . Marie ne cède sur rien, ne reconnaît rien et est soutenue par sa cousine Elizabeth d'Angleterre dont l'attitude n'est pas surprenante : la reine Tudor prend parti pour l'inviolabilité du droit des princes. Elle craint peut-être aussi que ces idées subversives se montrent contagieuses...
Les empereurs romains, les rois de France depuis Pépin le Bref se sont déclarés, pour les premiers divins, pour les autres, rois de droit divin. Tous pensaient ainsi se protéger des haines et jalousies et assurer la pérennité de leur dynastie.
Elizabeth défend, elle aussi, ce droit divin. Elle se méfie également des théories de Calvin, trop démocrate à son goût, de celles de John Knox, le prédicateur écossais qui refuse un gouvernement tenu par des females, alors que la fille d'Henry VIII décide de prendre sous sa seule autorité de reine le pouvoir religieux, suivant le chemin tracé par son père. Elizabeth n'a rien d'une dévote, elle ne désire que la grandeur de son royaume et la sienne qui ne font qu'un...
Elle ne tolérera aucune influence, aucune attaque contre la monarchie. Un souverain est sacré et nul ne peut se permettre de juger ses actes. Elle désapprouve fermement la conduite de la reine d'Ecosse, mais ne peut accepter que les lords s'emparent de sa personne royale!
- Par la volonté de Dieu, ils sont les sujets et elle est la souveraine, ils n'ont pas le droit de la forcer à répondre à leurs accusations, car il n'est pas conforme aux lois de la nature, que la tête soit aux ordres des pieds, proclame la reine d'Angleterre haut et fort.

Les lords écossais, pourtant soucieux de ne pas déplaire à leur bailleuse de fonds, Elizabeth, regimbent et retrouvent soudain toute leur morgue grâce à la prise d'une cassette contenant les lettres, les sonnets passionnés adressés par la reine à l'infâme Bothwell.
Ils tiennent l'arme qui va forcer Marie à abdiquer et céder la couronne à son fils, un enfant, ce qui leur permettrait de gouverner à sa place, pensent-ils!
Pour préparer le terrain, la pente décisive, il y a le hurleur de service : John Knox qui rameute du haut de sa chaire les chiens, les incitant à poursuivre et trucider cette catin. Satisfaction des lords qui préparent les trois sujets que devra signer Marie :
1) Abdication
2) Couronnement de son fils
3) Régence de son demi-frère Murray

Entre deux sanglots, la reine d'Ecosse signe.

En réalité, ce chiffon de papier ne signifie rien pour elle, toujours sûre de son droit et de sa légitimité. Pourtant son fils est à présent Jacques VI d'Ecosse, couronné par John Knox.
Démonstration brillante prouvant que l'enfant-roi a échappé à l'hérésie romaine...

La troisième clause sera exécutée, Murray rend visite à sa soeur et l'amène à lui confier la régence. Marie se croit sauvée et fait confiance à son frère. Comme elle a tort! Murray a décidé de la garder en captivité. Ce qu'il semble avoir oublié, c'est que rien ne peut faire courber la tête d'une Stuart!

Par contre, le sort de Bothwell nous est connu. Pourchassé par Murray, il échoue sur les côtes de Norvège puis, enfermé dans les geôles danoises, devient un animal déchaîné, et sombre dans la folie après dix ans d'incarcération. Un noir destin!

La reine est-elle enfin dépossédée? En tout cas, elle semble avoir tout oublié et charme son entourage masculin : le tout jeune Douglas de Lochleven, par exemple, organise une tentative d'évasion manquée, d'où surveillance renforcée de la prisonnière. Douglas lui sert de courrier, d'intermédiaire avec ses partisans. Elle en a toujours! et nombre de prétendants aussi, Lord Hamilton, par exemple, autrefois hostile à la cause Stuart. Mais que ne ferait-on pour devenir roi d'Ecosse?
Tout le monde connaît la chanson, à présent!

Nouvelle tentative d'évasion le 2 mai 1568, aidée par un page qui ouvrira verrous et portes devant elle, les refermera derrière elle, ramera pour elle dans la nuit noire et la déposera saine et sauve sur la rive où l'attendent cinquante cavaliers. Ceci n'est rien, une semaine plus tard, six mille hommes sont prêts à mourir pour leur reine! La plus grande partie de la noblesse s'est ralliée. Ils se rebellent contre l'ordre établi par Murray et adorent ce qu'ils voulaient brûler!

Ce Murray est fait de fer et d'acier. En vrai Stuart, il veut le pouvoir pour lui et lui seul et décide de se débarrasser de sa soeur Marie. Le 13 mai 1568 a lieu une bataille décisive à Longside qui voit la déroute totale de la reine. Pour la troisième fois, Marie s'enfuit pour sauver sa vie. Mais où aller? En France? braver les ricanements de Catherine de Médicis? débarquer en mendiante dans ce pays où tout le monde était à sa dévotion?
Rejoindre l'Espagne? le bigot Philippe II qui ne lui pardonnera jamais son mariage béni par un ministre de la religion réformée?
Non, toutes ces hypothèses sont irréalisables, il ne reste que l'Angleterre, accepter l'invitation d'Elizabeth. Marie ignore, bien entendu, que lorsque la reine Tudor lui adresse ses missives affectueuses, son chancelier Lord Cecil recommande à Murray d'en finir avec la reine d'Ecosse.
Pauvre et naïve Marie! L'exilée crie au secours, demande de l'aide à sa soeur et, le 16 mai 1568, débarque sur le sol anglais. La reine d'Ecosse a porté en terre deux époux, perdu deux royaumes, traversé les chemins du crime. Sa vie semble achevée, mais elle n'a toujours pas courbé la tête!
Pourtant, lorsqu'elle a rédigé sa lettre à Elizabeth, elle s'est faite humble et, avec franchise, a décrit sa misère présente. La reine d'Angleterre eut une première réaction généreuse : «elle est effondrée de ce qui arrive à sa cousine et prête à tendre la main à si grande infortune...»
Pour une fois, elle aurait pu laisser parler son coeur, mais son chancelier lui ôte tous ses scrupules. Il ne supporte pas cette reine d'Ecosse catholique, complice d'un assassinat. Elle bouleverserait ses desseins comme elle bouleverse ceux des personnes qui l'approchent! Les arguments du chancelier convainquent la souveraine qui vient d'apprendre que deux de ses plus puissants lords, l'un catholique, l'autre protestant, offrent l'hospitalité à Marie. Aussitôt la jalousie, l'ignoble jalousie, réapparaît et lui inspire la conduite qui va jeter sur sa vie une ombre à jamais noire!
Une perfidie, au fil de ces années, qui va lui faire refuser à Marie l'autorisation de quitter l'Angleterre, la retenant par le mensonge, l'acculant peu à peu à la destruction totale de son être!
C'est là une conduite inqualifiable, impardonnable!

Le début du chemin semble garni de roses, la reine d'Ecosse n'est pas entièrement dupe et sent la surveillance dont elle est l'objet. De Londres, on lui fait comprendre qu'elle ne peut être traitée en reine aussi longtemps qu'elle sera soupçonnée du meurtre de son époux. On veut l'amener doucement à un procès qui achèvera de la perdre.

Marie ne comprend pas ou ne veut pas comprendre, elle ne veut pas être traitée comme le vulgaire. Non, elle est reine et n'attend que le jugement de Dieu. En fait, elle a raison, Elizabeth ne peut rien contre elle, il y aurait ingérence officielle en pays étranger. La reine d'Angleterre ne peut que creuser un souterrain qui s'effondrera sous les pas de Marie. Une machination infernale!
Les filets se resserrent. On la change de résidence, elle quitte Carlisle pour Bolton.

L'échange de correspondance entre les deux femmes s'est accru. Naïve, opiniatre fermeté d'un côté, mensonges enrobés de miel de l'autre.

Marie accepte l'instruction! Combien fâcheuse est cette décision! Elizabeth fait miroiter la perspective de retrouver son trône en faisant condamner les rebelles écossais... Nenni, Marie s'aperçoit très vite qu'elle est l'accusée.
Les faits se retournent contre la reine d'Ecosse au cours de ce que les juges veulent appeler une conférence. Ce ne sera que parodie de justice, compromission de ces personnages de telle sorte que l'idée de droit paraît n'avoir jamais été présente à leur esprit!

Les lettres de la cassette passent de main en main sous la table. Les lords anglais ont alors d'étranges revirements : le duc de Norfolk devient soudain le défenseur le plus zélé de la reine, pourquoi donc? il réalise qu'il pourrait devenir l'époux de Marie, et cette couronne le fascine, ce qui n'est pas un événement nouveau dans cette sombre affaire!
Norfolk ne tiendra pas longtemps devant l'orgueilleuse reine Tudor dont les arguments l'obligent à abandonner Marie. Et pourtant, Elizabeth proclame très haut vouloir sauver l'honneur de sa cousine, de sa chère soeur, donc dévoiler toute la vérité? sa vérité bien sûr, pour atteindre son dessein secret: perdre à tout jamais la reine d'Ecosse...

Marie ne nie pas l'authenticité des lettres de la cassette. La malheureuse se perd ainsi, la morale déclarant qu'une princesse touchée par si grand scandale ne peut être présentée à une reine d'Angleterre si vertueuse!
Cette suspicion entretenue par Elizabeth pèse sur Marie et permet à sa rivale de la maintenir en captivité. Conclusion : la reine d'Ecosse est coupable de crimes odieux. C'est possible et même sûr, mais cela n'excuse pas la façon dont se déroule le faux procès. Elle deviendra martyre héroïque et la reine d'Angleterre à jamais geôlière haïssable, en attendant mieux. Une odieuse comédie!

Les années défilent. Epuisée, privée de liberté, Marie passe de l'abattement à l'espoir. Gardes, femmes de chambre, secrétaires, médecins, cuisiniers, tapissiers, chapeaux bas, la suivent pas à pas. Son nouveau geôlier, Schreswbury, ne lui parle que genou en terre, mais surveille. Le pauvre homme est en danger comme tous ceux qui vivent dans l'ombre de Marie. Il ignore que celle-ci est au courant de tout ce qui se passe à la cour et entretient une correspondance secrète arrivant par voies détournées.

Tout de noir vêtue, elle s'entoure d'animaux, chiens, oiseaux, de fleurs. Assise devant son métier à broder, elle façonne de remarquables tissus d'or et semble ne plus attendre que la mort libératrice.

C'est un leurre. En fait, elle conspire et n'a pas arrêté de conspirer! ses lettres ne parlent pas seulement de chiens mignons et sont destinées à Rome, aux ambassadeurs de France, d'Espagne.
Missives enfouies dans du linge, semelles, perruques, qui vont traverser les portes verrouillées, et permettre à la reine d'Ecosse de garder un moral élevé et sa fierté. Tout cela en vain, les chancelleries concernées ne répondent que très mollement à ses instantes prières :
« L'Armada n'est pas encore prête! » s'excuse l'Espagne.

A Londres, le chancelier Lord Cecil fait décapiter quelques fidèles de Marie pour l'exemple!
Parmi eux, les têtes de Northumberland et Norfolk, anciens candidats à la main de la reine.

Mais voici un nouveau prétendant : Don Juan d'Autriche, bâtard de Charles-Quint, vainqueur de Lépante, homme sage et peut-être vertueux. Il lève une armée, mais, victime d'une perfide maladie, disparaît aussi de la vie de Marie. Encore un! Un bruit circule dans les cours européennes, selon lequel Don Juan aurait été empoisonné par son demi- frère Philippe, roi d'Espagne!

Une hécatombe! Marie continue à perdre tous ceux qui ont le malheur de l'approcher!

Dans un dernier appel brûlant, elle adjure Elizabeth, mais ne reçoit aucune réponse. Marie n'a plus que la haine pour la soutenir. Tous ses amis, presque tous ses ennemis ont disparu, se sont entretués ou ont posé leur tête sur le billot. Elle n'a aucune nouvelle d'un fils, à présent presqu'un homme, un fils qui ne s'inquiète pas d'elle. Jacques VI Stuart a hérité la faiblesse de son géniteur. On lui dit que cette mère refuse de le reconnaître comme roi d'Ecosse. Quelle outrecuidance, pense-t-il!
Ce qu'il veut, en réalité, ce sont les deux couronnes, celle d'Ecosse et celle d'Angleterre... et il négocie dans ce but. Il adoptera la religion qui sera la plus avantageuse pour lui.
Marie croit un instant à une aide apportée par son descendant, entrevoit même la liberté. Elle se trompe, la reine d'Angleterre ne le permettra pas, perçoit le danger et décide de corrompre le jeune homme, le comblant de cadeaux, rentes, chevaux et chiens rares, fait miroiter la perspective de la couronne. Le résultat est atteint, l'ambitieux se range du côté des puissants et abandonne la femme qui lui a donné le jour.
Sous ce coup terrible, Marie va laisser exhaler sa haine. Vingt années de fureur réprimée explosent et laissent les témoins que nous sommes, abasourdis, mots torrides et venimeux jetés sur le papier :
« La reine d'Angleterre a si haute opinion de sa beauté qu'elle oblige ses courtisans à la flatter. Elle est brutale, frappe ses serviteurs, parfois avec un couteau »
Ces dénonciations ne sont rien auprès des révélations concernant la vie intime d'Elizabeth:
« Toujours à la recherche de plaisirs à côté, puisque celui-ci est à jamais interdit à cette infirme! » etc.

Cette fois, la rupture est consommée. Les palabres hypocrites ont échoué lamentablement. La pénurie d'or retarde la construction de la fameuse Armada. Philippe II, le pieux roi d'Espagne, ne verrait dans l'élimination de la reine d'Angleterre, hérétique excommuniée par Rome, qu'un acte auquel Dieu serait sûrement sensible! Il semblerait souscrire, la conscience tranquille, à la disparition d'Elizabeth. Marie Stuart lui succéderait, l'Affaire serait enfin résolue.

De part et d'autre, le meurtre paraît l'unique moyen de sortir de l'impasse. D'un côté, Philippe II prône le poignard pour se débarrasser de la Tudor. De l'autre, Lord Cecil, chancelier d'Angleterre, déclare qu'il faut en finir avec cette reine d'Ecosse.

Qui sera le plus expéditif?

Les Anglais craignant pour la vie de leur reine, le Parlement condamne à mort toute personne coupable de tentative d'attentat contre leur souveraine.

Informée de tout cela, Marie se voit entourée d'une surveillance plus sévère encore. Son geôlier, Lord Schrewsbury, déclaré trop tendre, est remplacé par Sir Amyas Paulett qui se révèle impitoyable gardien. Les missives ne traversent plus les murs froids de sa prison. La chasse, dernière joie de Marie, lui est désormais interdite.

Le chancelier d'Angleterre désire faire condamner la reine d'Ecosse pour conspiration, donc il doit la prendre en flagrant délit. Dans ce but, un piège est tendu dans lequel la naïve s'empresse de tomber. Lord Cecil connaît les noms des fidèles à la cause Stuart et s'arrange pour faire parvenir à Marie un message paraissant venir de ses partisans. Il faut, à la cour de Whitehall, la preuve de la complicité mais aussi de la volonté d'accomplir l'attentat.
Au reçu de cette lettre, Marie, rayonnante de joie à l'idée de sa liberté bientôt retrouvée, ignore que chaque missive adressée à son agent est copiée et, l'encre à peine sèche, expédiée à Londres !

On a trouvé un nouveau jeune benêt amoureux de la reine d'Ecosse, que d'habiles agents anglais poussent à délivrer l'élue de son coeur. Pour cela... il faut assassiner la reine d'Angleterre!

Le projet va être transmis à la reine d'Ecosse. A Londres, Elizabeth parfaitement au courant, met un frein hypocrite au zèle de ses ministres. Ce sera peine perdue, car les heureux Anglais déchiffrent la réponse de Marie dans laquelle ils trouvent, enfin, la preuve tant attendue, preuve déterminante.

Aussitôt, les conjurés sont arrêtés et emprisonnés à la Tour de Londres. La reine d'Ecosse ignore ces arrestations, au contraire, l'espoir lui a rendu la vie et l'enthousiasme.

Hélas! peu de jours après, elle apprend l'incarcération et les tortures infligées à ses fidèles.
L'horreur est telle, que même la populace londonienne s'émeut de tant de cruauté. Le sang de jeunes gens coule une nouvelle fois; ce sera le dernier, avant celui de la principale et plus importante victime, il n'en reste qu'une: Marie Stuart...
Tout est à jamais terminé pour elle. Elle le sait. La reine d'Ecosse est conduite à ce qui va devenir sa dernière demeure: Fotheringay.

Reste la terrible décision à prendre: l'ordre de mort. Elizabeth tergiverse, toujours la même idée, l'exécution d'un souverain légitime pourrait-elle devenir un précédent et mettre en danger la vie des monarques dans les siècles à venir?

Dilemme crucial auquel est confrontée la reine d'Angleterre. Soudain, une lueur traverse son esprit tourmenté, elle écrit à l'accusée, lui demandant de signer un parchemin dans lequel elle reconnaîtrait sa culpabilité. Marie y gagnerait la vie et Elizabeth, peut-être, la paix de son âme!

Non, cette bassesse n'est pas le genre de la reine d'Ecosse. Elle refuse cette sorte de grâce, et connaît le moyen de nuire à la reine Tudor, sa propre mort sur l'échafaud qui fera d'elle une martyre et couvrira d'une ombre sinistre la reine d'Angleterre.

Ce hautain refus contraint Elizabeth à s'engager dans la voie qui lui répugne tellement. Elle exige la convocation d'un tribunal composé des membres de sa plus haute noblesse. L'idée de ce tribunal ne plait guère à Marie mais, épuisée, elle finit par accepter.

Le 14 octobre 1586, dans la grande salle du château de Fotheringay, un dais surmontant un fauteuil d'apparat a été érigé. Marie, tout de noir vêtue, entrant dans la pièce, aperçoit le fauteuil, le trône, et déclare qu'elle est reine et devrait s'y asseoir. Non, le trône restera inoccupé, c'est la place de la reine d'Angleterre et cette présence invisible est terriblement impressionnante. L'ambiance est méprisable, Marie nie et nie encore mais, hélas, se contredit sans arrêt. La sentence est déjà prononcée dans l'esprit de ces fourbes magistrats. Il n'y aura pas unanimité parmi eux, car l'un des leurs, un seul, Lord Zouche, un nom incroyable!, ne donnera pas son assentiment. Passant outre, les lords prononcent le jugement : la reine d'Ecosse a tenté de détruire la personne royale de leur souveraine, elle est coupable. Un seul châtiment: la mort.

Les serviles ont accompli leur tâche. Cela ne résout pas pour autant le problème de la reine Elizabeth qui, de nouveau, lutte contre elle-même, contre sa conscience.

Le dernier acte est de la haute comédie. Elizabeth Tudor déclare : « Avoir été poussée par son Parlement et par son peuple qui ont tellement craint pour sa vie.
Elle ne veut assumer aucune responsabilité dans cette affaire. C'est clair. Elle ne comprend pas les sentiments qui ont animé sa cousine. Elle a tout fait pour l'aider et se trouve bien mal récompensée de ses témoignages affectueux...»

Un terrible discours. Peut-être reste-t-il aux tréfonds de son âme, une once de charité, une lueur imperceptible de bonté? Personnellement, je pense le contraire, je crois qu'elle s'inquiète des réactions étrangères. Eh! bien, malgré le langage outragé des ambassadeurs, malgré leurs avertissements qui ressemblent à des menaces, au bout de toutes les rodomontades de la France et de l'Espagne, il y a le vide! Non, il y a pire, le fils de Marie, Jacques d'Ecosse, protégé par la reine d'Angleterre, met un certain temps à réagir. Il commence par envoyer félicitations et encouragements à Elizabeth puis, pressé par son pays et le qu'en dira-t-on des royaumes étrangers, expédie deux ambassades à Londres, l'une officiellement menaçante entrant par la grande porte. L'autre, se faufilant par la porte de service, murmure à l'oreille de la reine d'Angleterre de ne pas s'inquiéter: aucun ennui, aucun reproche ne viendra de Jacques Stuart, mais pourrait-on lui donner une vague assurance sur la succession d'Angleterre? une toute petite assurance?

Tandis qu'Elizabeth se fourvoie dans de lamentables errements, Marie redresse la tête et envoie son testament à sa cousine :
«Elle désire être enterrée en terre catholique, près de sa mère en France, par exemple. Ses serviteurs doivent être autorisés à être témoins de sa foi, de son supplice et ne pas être poursuivis par la haine de la reine d'Angleterre»
Marie termine en rappelant la mémoire de leur ancêtre commun, Henry VII Tudor, et son titre de reine qu'elle portera jusqu'à la fin... Elle est sûre d'elle à présent, sa mort sera un triomphe!

A ce calme s'oppose la nervosité d'Elizabeth qui passe des nuits sans sommeil. Quelle décision va-t-elle enfin prendre?

L'ordre d'exécution sera signé... un papier parmi d'autres, une signature parmi d'autres. La reine d'Angleterre semble ignorer avoir apposé son paraphe au bas de ce parchemin!

Quant à ses ministres, les uns se font porter malades, les autres rejettent cette responsabilité comme un trop lourd fardeau. Pour aider leur reine, ils décident de donner ensemble l'ordre de mort.

Elizabeth lutte toujours avec sa conscience, mais sait certainement qu'un cavalier chevauche vers Fotheringay, accompagné par le bourreau de Londres.

Le mardi 7 février 1587, débarquent au château les envoyés de la reine d'Angleterre, l'un d'eux est un fanatique anti-papiste, Lord Kent. Marie, entourée de ses femmes, apprend que le jugement sera appliqué le lendemain à la première heure.

L'assistance de son confesseur lui ayant été grossièrement refusée, Marie Stuart va vivre sa dernière nuit, se préparer dans la prière à une fin grandiose. Le geste théâtral est bien dans son caractère, elle mourra, aux yeux de tous, martyre de sa foi catholique et de la vindicte d'une femme...

Le dernier repas est ordonnancé comme la Cène. Levant sa coupe devant ses serviteurs à genoux, elle les exhorte à rester fidèles à leur foi, boit à leur santé et leur distribue de menus souvenirs. Puis, bouleversée, se retire dans sa chambre, écrit quelques lettres à sa famille de France, au pape, à Philippe II. Rien à la reine d'Angleterre. Elle va l'abaisser par une mort triomphante!

Après avoir reposé ses membres et regardé l'immense nuit qu'elle s'apprête à passer, Marie se fait habiller. Cela dure deux heures. La reine a choisi une somptueuse toilette en velours cramoisi brun, surmontée d'une énorme fraise blanche dressée pour la parade. Sous cette merveille, elle porte une robe rouge. Toutes ces parures ont été choisies, assorties avec le plus grand soin : le sens du théâtre!

Voici l'heure! On vient la chercher. Soutenue par deux de ses serviteurs, elle marche jusqu'à la porte de ses appartements. Sur le seuil, ses fidèles la remettent entre les mains des hommes de la reine Tudor... seuls, ses assassins peuvent la mener au lieu de son supplice!

La dernière scène aura pour cadre la salle d'honneur du château. On peut apercevoir, dès l'entrée, une plate-forme tendue de noir, un billot recouvert également d'une tenture noire et un coussin.

Une croix en ivoire à la main, la reine s'avance, majestueuse comme toujours. Elle gravit les deux marches de l'échafaud.

Elle s'est retournée plusieurs fois, espérant entrevoir son confesseur. Celui-ci est consigné dans son appartement! Lord Kent fait appeler un ministre de la religion réformée, mais la reine d'Ecosse, hautaine, essaiera de couvrir cette voix par des prières en latin.
En cet instant suprême, tous deux auraient pu, ensemble, invoquer la miséricorde de Dieu...
Ni la reine, ni le pasteur, ne semblent avoir été effleurés par cette idée qui nous paraît, à nous, si naturelle. Pour lui, Marie n'est qu'une horrible hérétique, pour elle, il s'agit de gloire (espérons de gloire divine!). Le monde doit apprendre comment est morte une reine catholique. IL faut faire oublier ses fautes passées, sa mort effacera toutes ses erreurs.

Elle est prête. Le bourreau et son aide approchent et, à genoux, demandent son pardon.
Vieille coutume étrange en ce siècle sanguinaire...

La reine, à présent débarrassée de son immense collerette, vêtue de sa robe pourpre, les mains recouvertes de gants écarlates, s'agenouille et enlace le billot.
Marie Stuart ne paraît pas effrayée, l'a-t-elle jamais été? Elle est, une fois de plus, transcendée par l'idée de son état, de son martyre.

L'horreur survient, le bourreau devra lever sa hache deux fois. Et l'horreur se poursuit : voulant présenter la tête de la victime à l'assistance, il saisit seulement la perruque qui cachait une tête de vieille femme aux rares cheveux gris. La foule, stupéfiée d'effroi, voit alors surgir de ses jupes, le petit chien de la reine qui ne veut pas s'éloigner et défend sa maîtresse, montrant un courage que n'auront eu ni Jacques d'Ecosse ni les nobles lords écossais!

Mais, vous demandez-vous, quelle a été la réaction d'Elizabeth d'Angleterre, lorsqu'elle apprit la nouvelle? ce fut la fureur, une colère terrible simulée ou réelle! reprochant à lord Cecil de ne lui avoir rien dit (sic), d'avoir donné tel ordre sans son autorisation, l'insultant violemment. Elizabeth fait jeter, dans un cachot de la Tour, le secrétaire responsable de lui avoir fait signer le parchemin et porter l'acte à Fotheringay! Elle hurle, se démène, crie au monde qu'elle n'était pas d'accord...

Personne, sur le continent, ne sera dupe, mais, pour la plupart, l'épisode Marie Stuart est achevé. On va faire dire quelques messes pour le repos de son âme, mais risquer l'équilibre fragile de l'Europe, créer un incident diplomatique, il ne peut en être question!

Seul, le roi d'Espagne va tenter, un an plus tard, de lancer son Armada à la conquête de l'Angleterre, prétextant le désir de venger le meurtre de la reine catholique. Déroute totale de l'énorme flotte espagnole, coulée et par Drake et par la tempête.

Le destin et, au dernier moment Elizabeth, décideront que le fils de Marie Stuart sera roi d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier , tige de la dynastie Stuart régnant sur la Grande-Bretagne.
Le roi d'Ecosse devra attendre dix-neuf ans, jusqu'en 1603, cette consécration tant convoitée!

Alors, peut-être pris d'un remords tardif, ou parce que le monde a les yeux fixés sur ce Stuart, il fait transférer les restes de sa mère abandonnés dans un coin du cimetière de Peterborough, dans l'Abbaye de Westminster.

Ces deux femmes extraordinaires, qui ne se sont jamais rencontrées au cours de leur vie, reposent, à jamais, tout près l'une de l'autre.

Décidément, le destin sera toujours imprévisible.



1 Une de ces « Marie » l'accompagnera tout le long de sa vie, mais une seule !
2 Parents du côté maternel de Marie Stuart
3 Il est vrai que depuis les Plantagenêts, les lys de France paradent sur les armes royales anglaises ! Quant au cas Elizabeth, l'historien Stephan Zweig assure que l'on ne peut lui en vouloir d'avoir dès lors considéré Marie Stuart comme une ennemie dangereuse.
4 Chastelard est le petit-fils (par la main gauche!) du chevalier Bayard
5 Un autre personnage fut mêlé à cette horreur, le pape Grégoire XIII. Ce pontife fit chanter un Te Deum à Rome dès qu'il apprit le massacre....
6 Sorte de traité, contrat d'association
7 Environ un siècle plus tard, son petit-fils, Charles Ier sera renversé et décapité.
8 Le système fonctionne toujours...
9 Walter Scott nour a conté la légende d'une princesse captive, apeurée, métamorphosant ses geôliers en disciples adorateurs. L'écrivain écossais a oublié la naissance d'un enfant, enfant dont on ignore tout d'ailleurs. Le mystère est enfoui au fond du lac de Lochleven...
10 Peut-on se demander, en effet, si, sans cet exemple maudit, l'exécution de Charles Ire Stuart au XVIIème siècle, celles de Louis XVI et Marie-Antoinette au XVIIIème, auraient eu lieu !