Les causeries de France Gelbert

On l'appelait la pucelle (~1412 - 1431)

Il était une fois...
Non ! Jeanne doit se raconter elle-même. Pour cela, peut-être vaut-il mieux essayer de rassembler quelques unes de ses paroles, tendre l'oreille aux réactions de ses contemporains, écouter les déclarations ou témoignages de tous ces êtres humains qui, au cours des siècles, n'ont jamais oublié cette enfant, cette toute jeune fille, celle que l'on a appelée la «Pucelle» !

Laissons-la clamer sa Foi, son enthousiasme, sa peur bien sûr !

Elle fit cette grande promesse au royaume de France :
«Avant qu'il soit sept ans, les Anglais perdront plus grand gage qu'ils ne firent devant Orléans, et ils perdront tout en France...»

C'était un jeudi, le 1er mars 1431. Jeanne d'Arc, face à ses juges, prédit l'avenir du royaume de France à des hommes d'église, grands universitaires ébahis...
Mais qui est donc cette jeune personne ? Cette presqu'adolescente qui, tout le long de son procès, répondra le plus pertinemment du monde à ces hommes décidés à la condamner.
- Mon père est Jacques d'Arc (ou Dard !), ma mère s'appelle Isabelle Romée !

D'où vient-elle ? D'un village en pays barrois, les bords de Meuse, un village qui a pour nom Domrémy. Village encerclé par cette guerre que nous appelons «la guerre de cent ans» et qui fait rage. Dans ce village «du côté du roi», un beau matin, la chambre d'une ferme a rajeuni. Un feu flambe dans l'âtre, une femme soulève une enfant nue à bout de bras :
- Une pucelle !
Jeanne, c'est ainsi qu'on la nommera, Jeanne est l'Enfant. Les autres n'ont vu que l'armure de fer... ils oublieront l'être de chair.
Ils ont oublié que Jeanne est, d'abord, une paysanne de France, de chair et de Dieu. Elle est pétrie de santé, de fort appétit et fort mauvais caractère. Pour elle, tout est simple, simple comme l'air, comme la nature. Tout est net puisque tout vient de Dieu. Voyons, ce n'est pas si difficile à comprendre !

Le royaume de France est en bien mauvais état, le royaume est divisé, la guerre dévaste le pays, certains luttent pour jeter dehors les Anglais alliés aux Bourguignons. La population de Domrémy tient pour le roi de France, alors que la bourgade voisine est «bourguignonne» !

Pourtant, en 1429, l'année même de sa mort, Christine de Pisan, biographe amoureuse de son roi Charles V, s'interroge ainsi :
«Une fillette de seize ans à qui armes ne sont pesans, n'est-ce pas chose fors nature ?» La vieille poétesse célèbre la délivrance d'Orléans.

Il paraît que cette fillette entend «des voix». Quelles sont ces voix ? Un clerc posera la question :
- Quel langage parle tes voix ?
- Meilleur que le vôtre ! rétorque-t-elle.
Le clerc parlait limousin...
Et Jeanne, quelle langue parlait-elle ? La linguiste Henriette Walter pense qu'elle parlait un français postérieur à ce que l'on appelle le «vieux français», un français émaillé d'injures et gros mots, dans le genre de : «godons» (nom qui désigne l'envahisseur!) venant de l'anglais «goddamn». Peut-on le traduire par «Dieu vous damne !» je ne sais !

Michelet (1798-1874), historien oh ! combien controversé, ne croit pas trop aux voix et ajoute :
- (...) la jeune fille rêvait et faisait de ses idées, des êtres vivants.
Peut-être pas. Tout le monde eut un jour ou l'autre, connaissance des réparties plus que pertinentes rétorquées par une jeune personne pleine de courage :
- Etes-vous en état de grâce ?
- Si je n'y suis, Dieu m'y mette. Si j'y suis, Dieu m'y garde !
Quant à la question sur les «apparitions» :
- En quelle figure était saint Michel, quand il vous est apparu ? Etait-il nu ?
- Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ?
C'est en effet une jeune fille décidée, primesautière même, qui cloue le bec à une bande de vieillards cacochymes !

Décidée, il fallait qu'elle le fut pour arriver jusqu'au dauphin. Elle dut tout d'abord convaincre les gens de Vaucouleurs, elle a forcé des portes. Il lui a fallu la Foi, cette Foi qui transporte les montagnes, qui gagne les batailles. Elle se tient droite sur son cheval dit la chronique, ajoutant le détail :
- (...) en gippon, avec des chausses longues liées par des aiguillettes, des éperons et un haubert.
Elle est belle, paraît-il. Tous les historiens l'assurent. Non, pas tous ! L'Anglais Grafton ricane avec une mauvaise humeur évidente :
- Elle est si laide qu'elle n'eut pas grand mal à rester pucelle !

Joseph Delteil dit :
- (...)Les grandes oeuvres sont à base de passion et d'amour. Partout sur la terre et dans le ciel, c'est une question d'amour.
Et il continue :
- (...) ce n'est pas le sublime qui sauvera le monde, les oeuvres de génie réclament une fillette, un pâtre, un dieu...

Mais saurons-nous jamais ce, qu'à Chinon, la fillette a murmuré à l'oreille du prince ? Peut-être lui a-t-elle chuchoté qu'il n'était pas bâtard, mais le vrai fils de Charles VI !
Pour convaincre, elle devra subir l'épreuve d'être examinée par certaines dames de la cour, parmi lesquelles, la belle-mère du dauphin, Yolande d'Aragon qui veut être «sûre» de la virginité de la jeune fille. Un procès-verbal sera dressé !
Il faut qu'elle soit vierge, sinon elle pourrait être l'envoyée de Satan !
Voici une vieille croyance qui a perduré des siècles. Il était connu, au Moyen-Age, que la virginité formait talisman contre le Démon, car, comme tout le monde le sait, les sorcières forniquent avec le diable !
Peut-être s'agit-il simplement de la peur des hommes craignant, à juste titre d'ailleurs, que petit à petit les femmes ne prennent trop d'autorité et... leur place ! Il faudra attendre longtemps, un siècle après la mort de Jeanne, pour admettre que ces femmes ont une âme, et la lutte n'est pas terminée !

Jeanne est une jeune fille qui veut se transformer en guerrière, cela est incompatible pour ces intellectuels qui le lui reprochent :
- Si Dieu veut délivrer le peuple de France, il n'est pas besoin d'armes !
Vive réponse de Jeanne :
- En nom Dieu, les gens d'armes batailleront et Dieu donnera victoire !
Mais pour vaincre, Jeanne a bien besoin d'une armée et celle qu'elle découvre à Blois la met hors d'elle :
Une assemblée de soldats et de filles, mercenaires recrutés au hasard, vivant de pillage, sans discipline ni religion. Le «bmc» suit avec eux les hasards de la guerre.
La Pucelle se met dans une énorme colère, ramasse une trique et l'abat dans tous les sens, rouant de coups les ivrognes et les salaces, renversant les tables de jeu, poursuivant les filles de joie, qu'elle jette hors du camp et tout cela au nom de son Dieu !
Elle y fait aussi des rencontres. Le grand La Hire qui ne jurera plus et plie désormais le genou devant l'Enfant. Vient ensuite Dunois, le Bâtard d'Orléans, grand personnage du royaume. Car en ce royaume de France, être bâtard est une gloire (encore faut-il être bâtard d'un Grand de ce monde !)...
Voyez le duc de Bourgogne, le fondateur de la Toison d'Or que l'on appelle aussi Toison de la Femme (!), Philippe a vingt-sept femmes et seize bâtards. L'évêque de Cambrai, Jean de Bourgogne se fait servir la messe par ses trente-six jeunes bâtards habillés en enfants de choeur !
Jeanne rencontrera également Gilles de Rais qui, plus tard, deviendra le monstre que l'on sait, inspirant dit-on le conte de Barbe-Bleue :
Cette façon de vivre est dans l'air du temps. Jeanne ignore sûrement tout cela. . Elle, elle est là pour bouter les Anglais hors de France, elle doit faire la guerre!

Faut-il alors croire Schiller qui, vers 1800, s'enflamme pour la Pucelle, la transformant en Walkyrie :
- Un pacte terrible m'oblige à tuer de l'épée (...)
C'est peut-être vrai !
Mais avant de reprendre Orléans, elle a crié aux Anglais :
- Allez-vous en !

Orléans, clef de cette Loire où s'est réfugié le roi, sera libéré. L'impatience et les colères de Jeanne dont parlent toutes les chroniques. L'incroyable décision d'emmener Charles de France se faire couronner à Reims (bien sûr !), traverser les territoires aux mains des ennemis. Patay sera la revanche d'Azincourt et on verra, en ce jour mémorable, le connétable anglais Talbot lui remettre son épée.

Ces Anglais, un siècle plus tard, dans un «Henry VI», retouché ensuite par Shakespeare, nous décriront une Jeanne tout d'abord digne et empreinte de foi, puis qui se met soudain à délirer, reniant toutes croyances, se disant même enceinte de «je ne sais qui» !
Quant à la vérité historique dans cette pantomime, elle est jetée aux oubliettes :
Charles VII, roi de France, fait allégeance au roi d'Angleterre ! Imaginez cela !

Un autre Anglais, pardon un Irlandais, Bernard Schaw, va aimer la Pucelle avec humour et rabrouer Anatole France, le dénonçant ainsi :
- (...) cet être anticlérical, anti-mystique, incapable de croire qu'il put exister un personnage comme la vraie Jeanne !
Et pourtant, et pourtant, Schaw reste un incroyant aimable qui prône l'origine imaginative des «Voix» et termine, au moment de la canonisation en 1920, par :
- (...) ce geste de splendeur catholique, c'est la canonisation d'une sainte protestante par l'Eglise de Rome !

Pour en finir avec les Anglo-Saxons, un Américain, Mark Twain (+ 1910) écrira une «Joan of Arc» enthousiaste !

Pendant ce temps, si je puis dire, Jeanne se jette aux pieds du dauphin ! Elle le supplie :
- Gentil Sire, le Roi se fait à Reims !
Et voila l'armée du sacre qui arrive dans la ville du baptême de Clovis. L'ange au sourire penche la tête afin d'accueillir le dauphin et la pucelle.
Pourtant, aux portes de la ville, un frère cordelier s'est précipité à sa rencontre, lui jetant à la tête de l'eau bénite, faisant maints signes de croix. Jeanne, rieuse, lui crie :
- Approchez hardiment, je ne m'envolerai pas !

Elle restera debout durant la cérémonie du sacre, qui sera contée ainsi à la reine Marie d'Anjou :
- (...)Et durant le dit mystère, la Pucelle s'est toujours tenue joignant le roi, tenant son étendard en sa main (...)
Jeanne, elle-même, parlera de son étendard un peu plus tard :
- Il a été à la peine, il sera à l'honneur !
Le XIXème siècle, lui, nous régalera plus tard d'innombrables statues guerrières de la Pucelle, les yeux au ciel, étreignant le célèbre étendard.

Pour elle, sûrement, une partie de ce qu'elle appelle sa «mission» est remplie. Mais Jeanne est pressée, elle assure qu'il lui reste peu de temps, qu'elle doit se rendre à Paris. Il n'en est pas question car le roi de France a décidé de dissoudre l'armée du sacre, et regagne ses chers bords de Loire.
Ah ! l'affreux et long hiver qu'endure la Pucelle, évitant de croiser Charles dans les couloirs. Enfin, n'y tenant plus, elle s'enfuit, vole vers l'Ile de France, entre dans Compiègne.

Elle ne pourra en sortir. Mystérieusement, «quelqu'un» a donné l'ordre de fermer les portes, de relever le pont-levis ! Que s'est-il passé ? Y a-t-il eu trahison ?
Jeanne est prisonnière. Prisonnière d'un vassal du duc de Bourgogne, Jean de Luxembourg.
Le 25 mai, l'extraordinaire nouvelle est criée dans tout Paris. Quatre mois après, une pauvre innocente appelée Pierronne la Bretonne sera brûlée vive le 3 septembre 1430 sur le parvis de Notre Dame parce qu'elle proclame haut et fort que la Pucelle est l'Envoyée de Dieu...

Dès l'arrestation de Jeanne, le comportement de l'Université de Paris fut pour le moins étrange. L'Inquisition, les universitaires réclament à cor et à cri la Pucelle, et pourtant un des leurs anciens, Jean Gerson2 a bien tenté de leur démontrer que les victoires remportées par Jeanne n'avaient pas odeur d'hérésie !
Les Anglais ont payé les «trente deniers de Judas» à Luxembourg et l'évêque Cauchon (ce nom seul est une magnifique trouvaille du Destin !) veut démontrer que le sacre de Charles VII, ayant été mené par une hérétique, n'est en aucune façon valable. En cela, il est soutenu par d'éminents docteurs de la Loi. On s'arrange toujours avec le diable, lorsqu'il a un visage familier !

Un détail curieux, on a voulu faire à Jeanne un procès d'hérésie. Bien. Il fallait alors la garder en prison d'église et surveillée par ... des femmes. Comme vous le savez, il n'en a rien été, et Jeanne est obligée de rester vêtue en homme afin d'éviter les assauts grossiers de ses geôliers.
Peut-être ne réussirent-ils à la condamner que sous le prétexte (qui nous paraît à nous, humains du XXIème siècle, léger, si léger !) de sa vêture d'habits masculins ?
Il est dit, dans le Deutéronome, chapitre 22, verset 16 :
- Une femme ne revêtira pas un habit d'homme et l'homme d'habit de femme...
Saint Paul, lui aussi, évoqua le sujet; me semble-t-il !

En fait, ceux qui représentent l'Eglise ne peuvent pas supporter que Jeanne se réclame sans cesse de l'Autorité de Dieu à laquelle, dit-elle, elle est soumise, entièrement soumise.
Les Grands Commis de l'Eglise ne peuvent supporter qu'elle dise prôner l'Autorité de Dieu avant «leur propre autorité» ! Imbus de leurs titres et fonctions, «ils» sont censés être les délégués du Tout-Puissant et sûrs de détenir la Vérité. Jeanne doit donc se soumettre à leurs décisions.

La haine est mauvaise, la violence est mauvaise, la mort est mauvaise, les turpitudes du plaisir sont tristes. Jeanne est la nature même, donc elle réside près de Dieu.

Mais Cauchon l'oblige à céder :
«Elle est en grand état de péché, c'est de sa faute si tous ces grands et douloureux maux sont arrivés en royaume de France, elle s'est fait idolâtrer par le bon peuple, elle a fait tuer des hommes et des femmes, soit dans la bataille, soit volontairement par vengeance, elle répéte et affirme ne rien faitre que sur le commandement de Dieu...»
On va lui démontrer que ses «voix» l'ont trompée. «Elles» lui avaient promis de la libérer. C'est faux, elle reste emprisonnée ! «Ils» lui montrent la place où sera le bûcher, où bientôt sera mis le feu. Elle doit abjurer, sinon elle sera brûlée !
Ils lui ont posé le brodequin, ils l'ont liée au chevalet. Les murs ont ruisselé de pleurs, la tour a chancelé de honte.

Jeanne a peur. Normal. Ces voix qui, pourtant, l'avaient adjurée de «demeurer gaie et hardie, l'ont abandonnée. Elle se rend compte que le châtiment est certain. Alors, Jeanne crie grâce, abjure...
«On l'habilla alors en femme, mais dès qu'elle se vit dans un tel costume, elle retomba dans son erreur, demandant ses habits d'homme...»

Autre question : la cédule qui est parvenue jusqu'à nous est un long, très long feuillet décrivant le détail de l'abjuration de Jeanne. Or, les témoins contemporains parlent, eux, d'une page de «six lignes au plus !».


Le mercredi 30 mai 1431, une jeune martyre est conduite au feu d'un bûcher.
Le silence s'abat sur la populace.
Dix mille hommes pleurent !
Cauchon, lui-même, tire son mouchoir de sa poche, mais pas une larme ne veut de lui !

Il est vrai que pour nos siècles rationalistes, tout cela paraît être une légende superbe ! Mais il semblerait que ce soit les gens simples du XVèmesiècle, siècle de la Pucelle, le petit peuple qui ait cru en elle. Le «merveilleux» fait partie de leur vie, une vie organisée par l'Eglise. La journée s'écoule rythmée par les cloches de la chapelle : le travail, la prière, le repos. Leurs fêtes sont celles de la Mère de Dieu ou des saints. Les habitants du royaume ont terriblement souffert et souffrent encore des horreurs de ces guerres qui n'en finissent pas. Ils ont absolument besoin d'un souffle d'espérance, et l'arrivée de cette jeune fille bouleverse les mentalités, redonne des couleurs à la misère de leur vie, reveille le pays et va permettre, espèrent-ils, le départ définitif de l'envahisseur.
Alors, ils ont «cru» avant François Villon qui l'a célébrée dans la «Ballade des dames du temps jadis», ils ont «cru» à ce phénomène d'une jeune fille devenue chef de guerre, une paysanne mandatée par Dieu pour bouter les Anglais hors de France. Phénomène naturel et non encore mystique comme il va le devenir plus tard.

Où est la Vérité ? La connaîtrons-nous jamais ? Il reste l'élan, la Foi de cette enfant, une Aventure de Dieu ?

Après l'effroyable mort, la polémique s'installe. Jeanne d'Arc a-t-elle, oui ou non, été brûlée place du Marché à Rouen ? A-t-elle été «remplacée» au dernier moment par une autre condamnée ? Jeanne dite «des Armoises» est-elle la vraie Jeanne ?

Que faut-il penser de l'attitude du tout nouveau roi de France ? C'est simple, il l'a «laissée tomber» ! On écoute un silence suspect de Charles ! On a dit qu'il fut très jaloux de l'immense renommée de cette fille qui l'a traîné jusqu'à Reims, à qui il doit sa couronne et, ça il ne le sait pas encore... son royaume libéré !
Ce roi qui porte sur son sceau ou sur le portrait que fit de lui Jean Fouquet, des qualificatifs tels que : Le Très Victorieux... Le Bien Servi !
Cet homme est-il un lâche ? Il faut croire que oui, hélas !
On raconte que Charles de France est devenu un homme grâce à trois femmes :
sa belle-mère, Yolande d'Aragon, sa maîtresse, Agnés Sorel et... Jeanne d'Arc !
Aura-t-il fallu l'effroyable mort sur le bûcher pour en faire, enfin, un homme ! Je crois, quant à moi, que la crainte de voir son couronnement qui risquait d'être non avalisé s'il avait été organisé par une «sorcière», fut sans doute la raison pour laquelle Charles VII, le 15 février 1450, fait ouvrir une enquête et un procès de réhabilitation. Il y aura mis le temps !

Et la polémique perdure quant à la «mort» de Jeanne, à sa naissance «royale». On ironise encore sur l'erreur assénée par l'Histoire contant l'épopée d'une jeune fille lettrée et le prouvant tout le long de son procès par ses réponses plus que pertinentes.
Le nombre incalculable de biographies, pièces de théâtre, de films consacrés à la Pucelle, est impressionnant !

Il faut quand même dire que Bossuet, au XVIIèmesiècle, en fait une servante d'auberge, mais n'arrive pas, paraît-il, à la démonstration de Monsieur de Voltaire au sujet de laquelle une historienne part en guerre :
Bouffonnerie, polissonnerie de corps de garde ! s'exclame Régine Pernoud, médiéviste bien connue.

A partir de 1815, Jeanne devient la «consolatrice» des affligés, des patriotes. C'est le début de la «gloire» !
Cette patrie pour qui je meurs et que j'ai tant chérie (...)
Pièce d'un auteur dont j'ai oublié le nom, mais qui annonce l'arrivée triomphale des Revanchards !
C'est la gloire. Les défaites de la France, surtout celle 1870, font plus pour la Pucelle que la prise d'Orléans.
Cette fois, ça y est, en 1875, Jeanne est :

- Jeanne la Française
- Jeanne la Lorraine
- patronne des envahis...

Dix ans plus tard, en 1885, Verlaine l'aime parce qu'elle est humaine sur le bûcher :
- Las, pleura comme eût fait autre créature (...)

Pour Péguy, c'est la tête, le sommet du destin de l'Envoyée de Dieu :
- C'est une femme qui ne prend son parti de rien (...)

Je ne peux personnellement pas écouter la «Jeanne au bûcher» de Claudel au rythme de la terrible musique d'Honegger, mais, d'après certains critiques, le texte de Paul Claudel serait trop agressif, voire grossier !

Chaque période de notre ère utilisera la Pucelle à son gré. Les politiques feront reprendre du service à Jeanne chaque fois qu'ils en auront besoin.
En 1920 enfin, les politiques, toujours eux, la rappellent et la font canoniser à Rome.

En 1949, en pleine guerre froide, Thierry Maulnier la voit en héroïne luttant contre des juges lui extorquant par la violence, des aveux indignes. Critique du stalinisme, thèse quasi existensialiste. Jeanne affirme sa liberté de choisir !

Elle devient le «fer de lance» d'un illuminé qui balade, en plein Paris, un vieux cheval caparaçonné monté par une petite fille inquiète !

Redeviendra-t-elle enfin la jeune fille concrète, vraie image qui doit l'emporter sur la virago, la walkyrie, l'égérie de ministres ou de vieux chefs «paumés», militaires à la retraite ?

Je crois que je dois terminer par André Malraux, à Orléans :
- (...) Alors naquit la légende. Le coeur, on le retrouva dans les cendres que le bourreau n'osait ranimer. Et l'on décida de le jeter à la Seine, afin que nul n'en fit des reliques. Et ce coeur descendit le fleuve. Voici le soir, sur la mer, les saints et les fées de Domrémy l'attendent. Et, à l'aube, toutes les fleurs marines remontent la Seine, dont les berges se couvrent des chardons bleus des sables étoilés par les lys...