Les causeries de France Gelbert

Elisabeth Ière, reine d'Angleterre (1533 - 1603)

En ce XVIe siècle, les monarques se succèdent. En France, François Ier a succédé à son beau-père Louis XII. En Espagne, Charles-Quint à Ferdinand d'Aragon son grand-père et en Angleterre, Henry VIII Tudor à son père Henry le Septième.
Trois jeunes gens candidats à la couronne impériale. Le vainqueur sera Charles-Quint et les alliances se feront et se déferont très rapidement.

Henry Tudor jouera désormais la partie tantôt avec la France, tantôt avec l'Espagne. Son épouse (la première !) n'est autre que Catherine d'Aragon, la propre tante de Charles-Quint!
Mais voilà, le fringant Henry s'éprend, à quarante deux ans, d'une dénommée Anne Boleyn, demande le divorce au pape qui le lui refuse et, perdant patience, va entamer sa rupture avec Rome...

Il faut dire que la Réforme n'a pas encore touché la Grande Ile. Il n'y a pas si longtemps, Henry a écrit une condamnation théologique de Luther et a été récompensé par le pape Léon X par un titre un peu ronflant, celui de Défenseur de la Foi.
Lorsque la séparation avec Rome sera consommée, le roi se considérera toujours, dit-il, comme catholique, mais ne veut plus subir l'autorité du pape. Aussi décide-t-il le Parlement à arrêter les paiements des bénéfices à Rome. Désormais, les évêques seront nommés sur proposition royale.
Par la Loi de Suprématie, le roi devient le chef de l'Eglise d'Angleterre, ceci se passe en 1534.
Bien sûr, le Tudor en profite pour mettre la main sur les riches abbayes et les distribuer à ses favoris (3000 maisons religieuses disparaissent ainsi!). Doctrine et dogme ne sont pas encore touchés. En 1539, parution des six articles sur la Transsubstantiation. La confession, la communion sont maintenues, mais suppression du culte des saints.
On verra le bourreau du roi mettre à mort autant d'hérétiques emportés par la Réforme que de catholiques refusant les innovations!

Des changements si intenses inaugurent une nouvelle ère. L'individualisme va naître avec les Tudor, ouvrant la voie au capitalisme.

Les tisserands flamands appelés par Edouard III (1312-1327-1377) ont enseigné les secrets de leur art à leurs voisins outre-Manche et les étoffes anglaises rivalisent avec celles du continent.

Ce XVIe siècle si intense en découvertes fabuleuses, siècle de l'Humanisme, mais siècle aussi de sang et d'horreurs. Siècle de la Réforme sur le continent, de la Réformation dans la Grande Ile, l'Angleterre. Réformation qui va renforcer l'autorité royale, exalter la liberté individuelle chère aux coeurs de ces insulaires. Tout cela va pousser l'Anglais de la Renaissance sur les voies de la découverte, à la suite des espagnols et des portugais.

La France et l'Angleterre ont été oubliées par Rome dans le partage du monde. Le pape n'aurait-il pensé qu'à ses favoris, l'Espagne et le Portugal? Eh! bien, à présent le marchand aventurier va faire céder le conquistador, l'Angleterre maritime et anglicane est née sous la dynastie des Tudor.

Elizabeth Ie Tudor sera la plus grande représentante de cette dynastie. Et pourtant, la cour d'Angleterre et surtout Anne Boleyn attendaient l'arrivée...d'un garçon!
En ce 16 septembre 1533 la reine Anne arpente fiévreusement ses appartements du palais royal de Greenwich. Son enfant est sur le point de naître et, sous peine de décevoir le roi Henry, il faut que ce soit un fils!
Elle a oeuvré avec acharnement afin de devenir épouse et reine! A présent, elle va donner un héritier au Tudor, à cet homme déjà rongé par la syphilis.
Et ce 16 septembre, à trois heures de l'après-midi, se présente...une fille! Consternation générale.
Cette erreur est quand même la princesse Elizabeth d'Angleterre et les Londoniens l'acclament avec la même ferveur que, voilà dix-sept ans, ils accueillaient une première princesse, Marie, fille d'Henry VIII et Catherine d'Aragon.
La faveur de la mère d'Elizabeth, Anne Boleyn, ne résistera pas à la montée de la blonde Jane Seymour. Le roi Henry enverra la mère d'Elizabeth à l'échafaud. L'horreur de cette mort est incompréhensible, même durant une époque aussi sanglante que ce XVIe siècle!

Je me demande si ce fut une consolation pour Marie Tudor de voir sa soeur ramenée, à son tour, au rang de bâtarde!
Elzabeth a trois ans, mais cette flétrissure la touchera, plus tard, au vif de son orgueil. Pour le moment, on l'oublie au fin fond du château d'Humsdon où elle croupit misérablement. Mais, mais elle a trouvé provisoirement une soeur en la personne de Marie Tudor, toutes deux fichées désormais bâtardes royales. Chez l'aînée, à cette époque, va naître un sentiment de douceur et d'affection à l'égard de la toute petite fille solitaire. Marie courbera la tête devant son père, afin de rentrer en faveur et en fera profiter sa cadette .

La naissance tant attendue par le roi et Jane Seymour d'un fils, Edouard, va rendre, aux princesses, une certaine dignité. Mais l'enfant Elizabeth fait ses premiers pas dans le pays trouble de la méfiance, de l'hypocrisie, de l'insécurité et en sera marquée toute sa vie.

La fin de la vie d'Henry VIII sera pénible, seulement adoucie par la présence de Catherine Parr, sa dernière épouse!
La reine Catherine est attentive à la petite présence d'Elizabeth et veille à ce qu'elle reçoive, ainsi que son frère Edouard, une éducation soignée. Cela tombe bien, car une véritable fièvre intellectuelle venue d'Italie, s'empare alors de l'Europe. Elizabeth parle latin, grec, italien, français .
Mais son style épistolaire, hélas, sera souvent pédant et tarabiscoté.

Soudain, fin Janvier 1547, la mort du roi d'Angleterre bouleverse la vie de ses enfants et les sépare. Edouard, couronné, se voit entouré de requins avides, enrichis par la Réformation qu'ils soutiennent. Ce sont les oncles maternels d'Edouard, garçon maladif de dix ans.

Elizabeth a sa maison : cent vingt personnes environ. Elle a quinze ans et va fourbir ses premières armes de séductrice auprès du nouvel époux de Catherine Parr qui, une fois veuf, va tout tenter pour épouser la princesse. Elizabeth sera soupçonnée de haute trahison, mais parvient à se disculper habilement. Elle mène désormais une vie studieuse à Hartford, don de son frère.

Ce pauvre petit Edouard va bientôt disparaître à son tour. La bande de requins le pousse à exclure de sa succession ses deux soeurs, l'une ramènerait le papisme, l'autre est flétrie de bâtardise.
Les requins essaient de mettre sur le trône une petite nièce d'Henry VIII, Jane Grey , une pauvre brebis innocente et influençable qui aura, elle aussi, une fin terrible. Elle mourra sur l'échafaud!

Elizabeth, durant cette sinistre comédie, reste parfaitement neutre, refusant d'abandonner sa soeur. Elle ne se manifestera réellement que lorsqu'elle sera sûre de l'issue de l'affaire, démontrant ainsi une attitude qu'elle aura toute sa vie! Un attentisme qui frise l'hypocrisie...
Alors, alors seulement, elle se précipite au devant de la nouvelle reine d'Angleterre. Marie a trente-huit ans, elle est maigrote, flétrie déjà. A côté d'elle si menue, Elizabeth parait grande. Elle a vingt ans et grande allure!

Le règne de Marie Tudor qui restera, hélas, dans l'Histoire sous le nom de Marie-la-Sanglante, sera accablant. La reine est persuadée être la messagère du Très-Haut, messagère qui doit sortir son peuple de l'hérésie et le ramener sous la bannière de saint Pierre. Marie sera d'une intolérance impardonnable et allumera des bûchers ignominieux...Mais où est passé le message du Christ?

Elle se persuade qu'un mariage avec un prince catholique l'aidera peut-être à réussir son grand dessein et tourne ses regards vers Charles-Quint ou plutôt le fils de celui-ci, Philippe. Mais l'Angleterre n'est pas prête à accepter ce retour au passé, les anglais se sont faits à la Réforme et les Grands qui en ont tiré des avantages très appréciables, ne lâcheront jamais.

Elizabeth, quant à elle, habile et dissimulée, regarde d'où souffle le vent et sait qu'au premier heurt, le peuple se tournera vers elle. Pour le moment, elle évite soigneusement tout ce qui peut éveiller les soupçons de sa soeur.
En fait, en matière de religion, elle est et restera toujours une sceptique , mais veille à sa réputation.
Ainsi, Marie s'étonnant de ses fréquentes absences aux offices de rite catholique, se fâche et la somme de choisir entre la disgrâce et la messe. Sans hésiter, Elizabeth choisit... la messe.

Pendant ce temps, la reine se perd en rêves amoureux et, contre l'avis de son peuple, décide d'épouser Philippe d'Espagne. Elle va sacrifier les opposants à sa religion et à son mariage, soupçonne sa soeur qui feint alors la maladie et s'indigne même contre les révoltés.
Elizabeth va percevoir les horreurs des massacres orchestrés par la reine, du fond de la chambre de la Tour où Marie la fait surveiller. La reine adoucira son sort, malgré les avis de Charles-Quint, en l'envoyant au château de Woodstock.

Le prince charmant espagnol arrive enfin et le mariage célébré le 25 juillet 1554. Bientôt Marie se persuade qu'elle attend un heureux événement, car en Angleterre se pose toujours le problème de succession. Si la reine disparaît sans postérité, l'héritière portée par les anglicans serait Elizabeth. Mais il y a une candidate papiste: Marie Suart, pour le moment, dauphine de France. Cette possibilité est impensable pour l'Espagne qui ne peut imaginer l'Angleterre, l'Ecosse et la France réunies sous la même couronne!

Philippe d'Espagne pousse son épouse à la guerre contre la France, résultat: l'Angleterre perd son dernier bastion chez nous en 1558, Calais.
1558, c'est aussi l'année de la mort de la reine Marie. Les bûchers allumés par ses soins et son zèle plus qu'excessifs ont leurs martyrs. Sa disparition est saluée par des cris de joie et de :
«Dieu garde Madame Elizabeth»
Madame Elizabeth a le petit peuple de son côté. Habile Elizabeth qui ménage désormais les deux extrêmes et installe une religion à mi chemin entre les deux autres confessions chrétiennes. Elle fait abolir le pouvoir papal par le Parlement, rétablir la loi de Suprématie qui fait d'elle le chef de l'Eglise. Mais, par le Prayer Book révisé, elle modifie le texte de telle sorte que tous peuvent désormais l'accepter, fidèles et adversaires de la transsubstantiation. Il est possible de s'abstenir d'assister aux offices de l'Eglise anglicane en payant une sorte d'amende, lourde certes, mais ce geste est peut-être empreint d'un début de tolérance! Cette Eglise réellement fondée en 1559, marque la naissance de l'Angleterre moderne face à une Europe majoritairement catholique, mais secouée par la Réforme.
Elizabeth va agir avec autant de souplesse que de fermeté et mettre au service de sa politique, une coquetterie dont elle va user et abuser.

Comme il l'aime, ce peuple qui l'acclame frénétiquement le jour de son couronnement! Il sera toujours là pour la soutenir. Aujourd'hui, c'est jour de liesse. Elizabeth a vingt cinq ans. La joie, le triomphe la parent et les angoisses de l'adolescence trouvent leur revanche.

Malgré tout cela, elle n'est qu'une femme, et beaucoup, comme le réformateur John Knox qui tonne en Ecosse contre tout gouvernement féminin, souhaiteraient lui voir suivre le chemin normal de toute jeune fille, le mariage!
A cette époque, débute une mise en scène réglée par celle que l'on appellera la Reine Vierge, une comédie ou un ballet ayant pour titre La Dérobade!
En tout cas, Elizabeth s'installe en situation de reine à marier face à l'Europe continentale.
Premier prétendant surprenant, Philippe d'Espagne qui, en perdant Marie Tudor, a perdu le royaume d'Angleterre (ce qui lui importe sans doute davantage!). Elizabeth, la reine qui prétendait duper les autres, est renvoyée aux oubliettes, car Philippe se rabat sur la plus jeune fille d'Henri II et Catherine de Médicis, Isabelle.

La ronde des prétendants recommence. Il y a un problème... ils sont, pour la plupart, catholiques. Oh! Elizabeth n'en fait pas une affaire de religion, mais s'en tient au moyen terme qu'elle a adopté : catholicisme romain condamné, calvinisme trop révolutionnaire.

Le défaut de la cuirasse va bientôt apparaître aux yeux de tous, la reine paraît si sensible à l'adulation, la flatterie la plus appuyée! Elle adore être courtisée. La cour va très vite apprendre quelle stratégie suivre.

Ses histoires de coeur n'empêchent pas Elizabeth de rester vigilante à l'égard du continent.
Elle souffre de la perte de Calais, de l'attitude de la France, de l'Espagne, du pape Paul IV qui, la visant, bien sûr, déclare déchu tout souverain coupable de tolérer l'hérésie en son royaume.

Pire, la France et l'Espagne pourraient s'unir sous la bannière de Marie Stuart! En effet, le danger est réel lorsque le jeune François II et cette jeune reine d'Ecosse, montent sur le trône de France, sous la protection de la puissante Maison de Guise . L'Ecosse catholique est très proche mais le peuple écossais est las de l'emprise française et se tourne vers sa proche voisine l'Angleterre et vers la Réforme. Elizabeth va ravitailler les rebelles tout en louant hautement, en public, la reine d'Ecosse. Le Catholique, lui, se trouve dans une position fausse, il ne veut pas voir la France s'installer en Angleterre, ni l'Angleterre en Ecosse, mais ayant quelques ennuis de trésorerie, ne peut trop s'avancer.

Pendant ce temps, on propose à la reine un nouveau prétendant, le comte d'Arran, un noble écossais. Ceci dans le but de nouer des liens durables avec l'Ecosse, voisin convoité. Mais le coeur d'Elizabeth est pris ailleurs. Elle est amoureuse de Lord Robert Dudley, futur comte de Leicester, ami de l'Espagne, et ces amours scandalisent la cour, puis le peuple. En fait, on ne saura jamais ce qui s'est réellement passé, les contemporains eux-mêmes commencent à parler d'anomalie sexuelle, d'obstacle physique, que sais-je?

Bientôt la reine va dominer ses émois de femme amoureuse et voit, en 1560, Marie Stuart, veuve du roi de France François II, retrouver son petit royaume d'embûches, l'Ecosse, où elle va vivre désormais environnée de calvinistes. Situation guère enviable.

Elizabeth doit ménager sa cousine, préserver leurs relations. Il ne faudrait pas exciter les passions papistes du continent, ni celles de son propre royaume. La reine d'Angleterre jalouse sa cadette. Elle sait que, pour le moment, Marie est son héritière potentielle, ce qui ne lui plaît guère et va jouer avec elle au jeu subtil du chat et de la souris, passant de la démonstration débordante de tendresse à la haine implacable.

La guerre religieuse sévit en France, le massacre des protestants à Blois, oblige cette fois Elizabeth à prendre parti et à expédier ses armées occuper Le Havre.

- L'Angleterre ne lâchera la ville que lorsque lui sera rendu Calais, dit-elle fièrement...

Mais la terrible peste s'abattant sur son armée, les oblige à céder la place.

Elizabeth, toujours confrontée au problème du mariage, continue à se dérober. Sa cousine et voisine Marie Stuart est également à marier, son choix sera très important pour l'Angleterre. On parle du prince d'Espagne, fils de Philippe II .
Finalement, Marie Stuart choisira Lord Henry Darnley son cousin. Ce mariage va soulever une partie de l'Ecosse soutenue par la reine Tudor. Un héritier naîtra de cette union et la reine d'Angleterre, effondrée, ne trouvera que cette triste répartie pour fêter l'arrivée de son filleul :
- La reine d'Ecosse a mis au monde un beau garçon, et je ne suis qu'un tronc desséché!

Les meilleures chances de la double couronne d'Angleterre et d'Ecosse sont à présent réunies sur la tête de ce nouveau-né...

Elizabeth va devoir subir à présent les assauts répétés de Catherine de Médicis qui veut lui faire épouser le jeune Charles IX! La reine d'Angleterre trouve une excuse :
- Je ne peux me marier, assure-t-elle, sans l'assentiment du Parlement!

La reine-mère florentine ne se décourage pas pour autant et va successivement lui jeter dans les bras, le duc d'Anjou (futur Henri III), puis, nous le verrons plus tard, le pauvre Alençon, maigre adolescent noiraud. Cette fois, Elizabeth pourrait être sa mère!

Le 24 août 1572, date sinistre pour la France, le tocsin de la Saint Barthélémy s'entend de l'autre côté de la Manche et agite le peuple de Sa Majesté anglaise...

Elizabeth a surtout l'intention de maintenir un équilibre fragile entre les pays puissants du continent: l'Espagne de Philippe II, la France et elle-même. Pourtant, elle a de grands desseins pour son royaume, elle sait que le monde a été partagé, en 1494, par Alexandre VI Borgia qui a donné à l'Espagne toutes les terres découvertes à l'Ouest, et au Portugal, toutes celles qui sont à l'Est. Donc, il ne reste plus rien pour les autres puissances, mais l'Angleterre va tenter d'atteindre les Indes fabuleuses par le Nord. Des marins anglais, tels Francis Drake, vont piller les côtes chiliennes et péruviennes, harceler sans relâche les navires espagnols et leurs ports, Cadix : 37 vaisseaux incendiés.
Drake, Walter Raleigh, vont déposer aux pieds de leur souveraine, de fabuleux trésors. En 1583, fondation de la première colonie anglaise en Amérique du Nord appelée Virginie, en l'honneur de la reine-vierge bien sûr!

Une ère d'opulence commence dans une Angleterre qui s'enrichit, le luxe fait son apparition un peu partout, la laine des moutons anglais s'est transformée en taffetas, velours, soie. Des demeures à l'architecture compliquée se construisent dans le pays. La reine voyage, reçue somptueusement chez les courtisans. Pour les remercier, parfois, il lui arrive d'emporter... une pièce d'argenterie! Le favori Leicester est parmi les plus fastueux de ses hôtes, mais périt de jalousie en ce moment car, pour la première fois, un prétendant traverse le Channel et vient faire sa cour. Il s'agit de François d'Alençon, à présent duc d'Anjou, dernier fils d'Henri II et Catherine de Médicis.

A la surprise de tous, les amoureux roucoulent, voulant ignorer l'hostilité du Parlement et du peuple. Elizabeth devra se séparer de sa petite grenouille qui mourra peu de temps après, pleuré par une reine d'Angleterre revêtue de somptueuses robes de deuil!

Hélas, la réputation de la reine va être terriblement ternie par le drame qui se déroule en Ecosse: l'époux de la reine d'Ecosse, Henry Darnley vient d'être assassiné et Marie Stuart, aussitôt suspectée, est arrêtée. Elle réussira à s'enfuir et se réfugiera chez sa bonne soeur Elizabeth chez qui elle sera en sécurité, pense-t-elle, naïve! Peut-être Elizabeth a-t-elle ressenti, au début, un certain sentiment de fraternité monarchique, mais voulant à tout prix la soustraire aux influences continentales et sous prétexte de la protéger des rebelles écossais, la reine Tudor va simplement étouffer ses protestations en l'emprisonnant dans un coin perdu...
Mêlée à d'inextricables complots, du fond de ce que l'on doit appeler une geôle, Marie finira sa vie sur l'échafaud en 1587 au château de Fotheringay, assassinée par une Elizabeth hésitante jusqu'au dernier moment.

Le monde de ce XVIe siècle va tout de même réagir à cette exécution. En particulier, le roi catholique d'Espagne qui, sous le fallacieux prétexte de vengeance, sûr de sa puissance, organise une des plus grandes expéditions punitives contre l'Angleterre.
Du fond de son oratoire, Philippe II expédie l'Armada, flotte énorme de cent trente vaisseaux qui s'annonce en Atlantique à l'Angleterre affolée.
L'amiral Howard est autorisé à se rendre à la rencontre de l'ennemi. Les côtes des Pays-Bas doivent aussi être surveillées, car des troupes attendent l'escadre espagnole.
Celle-ci est enfin signalée le 19 juillet 1588. L'anglais, habile, va éviter le combat et harcèlera l'adversaire. L'Armada, mal commandée par Medina Sonia, va perdre rapidement de sa superbe!
Ayant jeté l'ancre dans le port de Calais, de nombreux bâtiments seront incendiés par les anglais qui naviguent, eux, sur des bateaux plus légers et plus rapides. La nature, elle-même, va parachever la défaite espagnole : la tempête! Les débris seront ramenés au roi d'Espagne.

Cette éclatante victoire transforme Elizabeth en déesse de la guerre, son royaume vient d'arracher à l'Espagne le titre de première puissance maritime, et ne le restituera jamais!
La popularité de la reine est immense. Gloriana, on l'appelle Gloriana!
Toujours superbe à cinquante-cinq ans, elle va se toquer d'un tout jeune homme de dix-neuf ans, le comte d'Essex. Cet adolescent ne rêve que d'exploits guerriers et aura quelques mésaventures qui vont faire grincer les dents de la souveraine. D'un oeil, elle surveille les incartades de son bouillant favori, de l'autre, la France où la dynastie Valois expire : Henri III vient d'être assassiné le 1er août 1589; disparition qui porte sur le trône le protestant Henri de Navarre, descendant de saint Louis .
1589 est l'année de l'avènement d'un très grand roi de France!

Il faut tout de même dire que ce nouveau roi a quelques problèmes pour s'imposer. On sait aussi que trois mille espagnols occupent la Bretagne, ce qui représente un réel danger pour l'Angleterre.
Elizabeth se résigne à aider (oh! le moins possible!) le Vert Galant qui est un gouffre sans fond. La promesse d'entretenir des troupes anglaises ne sera jamais tenue, bien évidemment!

Henri IV se décidera, en 1593, à changer une nouvelle fois de religion, ce sera le premier effort, le début d'une merveilleuse réussite qui ramènera la paix dans le royaume. Mais cette conversion déchaîne derechef la haine anti papiste en Angleterre. Elizabeth veut se maintenir à bonne distance de Rome et de Genève, cette attitude ne convient pas à tous ses sujets et la scission sera faite bientôt. Les opposants s'appelleront puritains. Ils condamnent la hiérarchie dans l'Eglise, le cérémonial, le luxe de la liturgie... La reine d'Angleterre s'attaque à eux non par fanatisme religieux, mais parce qu'ils représentent, pour elle, le désordre et un danger pour le principe d'absolutisme royal. Pourchassés ainsi, ils vont s'exiler vers les côtes atlantiques d'Amérique du Nord.

Le favori Essex continue à fronder, conspirer avec le nouveau roi de France Henri IV, et va se battre en Espagne. Une Espagne qui va armer (c'est le cas de le dire !) une nouvelle Armada aussitôt détruite par la tempête ainsi que la marine anglaise venue à sa rencontre. Les deux flottes vont se croiser sans se voir, aveuglées par le vent et la pluie. Cela va inciter les deux souverains, de France et d'Angleterre, à s'allier. Henri IV a besoin d'Elizabeth, de son argent, de son aide militaire et lui promet en échange... Calais!
L'ambassade française arrive à Londres avec cette offre alléchante, mais tombe en plein orage de cour : Essex veut le poste le plus haut placé, la reine hésite, hésite ...

A présent, Elizabeth est une vieille femme, pour l'époque bien sûr, elle a soixante-quatre ans.
Elle est édentée, a un nez d'aigle, arbore fards et perruques. Somptueusement vêtue, la reine est toujours majestueuse, royale, et joue avec les nerfs de son favori. La cour, interloquée, assiste à des scènes pénibles, gifles, fureur non contrôlée. Elizabeth va finir par l'expédier en Irlande où le petit coq prétentieux joue son propre jeu, provoquant à nouveau la colère royale. Peut-être Elizabeth jalouse-t- elle la renommée suscitée par son favori?

A cette époque, est représentée la pièce de théâtre du déjà célèbre Shakespeare, Henry V, parallèle flatteur entre le retour triomphal de ce roi Lancastre et celui du favori...

Shakespeare! On ne peut passer sous silence l'éclosion littéraire superbe commencée sous le règne de la grande souveraine. Shakespeare, ce génie dont les dates seraient 1564-1616 , fut vraiment reconnu dans les décennies qui suivirent la mort d'Elizabeth et sa compagnie théâtrale placée sous la protection du roi Jacques Ier Stuart, dès 1603.

La première période du dramaturge est le temps des grandes fresques historiques qui flattent l'orgueil national élizabethain: Henry VI, Richard III, Henry IV, puis Roméo et Juliette, etc.
Seconde période, temps de désenchantement qui correspond à la fin du règne de la reine : Hamlet, Othello, Macbeth, le Roi Lear et tant d'autres chefs d'oeuvre.
On a reproché à Shakespeare ses erreurs dans le domaine de l'Histoire, la Géographie, mais quelle importance à côté de l'indéniable génie!

Essex n'est pas Henry V, ce roi du XVesiècle héros de Shakespeare et, en fait de retour triomphal, Elizabeth reçoit des plaintes qui arrivent à Whitehall, des demandes d'argent, d'envois d'hommes! Essex finira par conclure un accord secret avec l'irlandais Tyrone et, prenant soudain conscience de sa folie, rentre à brides abattues à Londres se jeter aux pieds de la vieille reine qu'il trouve dans sa tenue matinale, attendant que ses dames d'honneur lui redonnent, à l'aide de crèmes, fards et perruques, cet aspect de momie prématurément embaumée!
Elle semble heureuse de le revoir mais, sûrement influencée par son entourage, finira par le condamner à l'exil. Hélas, accusé bientôt de haute trahison, les lourdes portes de la Tour se referment sur le héros déchu. Elizabeth, maladivement obsédée par la terreur des complots contre sa personne, crut-elle réellement à la forfaiture d'Essex?
Le comte d'Essex gravira, comme tant d'autres, les marches odieuses de l'échafaud. God save the Queen!

La reine survivra deux ans à la perte de son favori, mais traverse une période de violentes colères. Elle ne quittera ce monde, dit- elle, qu'après avoir allégé les charges pesant sur ses sujets, aboli certains privilèges détenus par ses proches...

En 1602, la reine d'Angleterre, couverte de pierreries, ouvre une dernière fois le bal de la cour, puis retombe aussitôt dans une triste morosité.
Elle va souffrir d'un abcès à la gorge et, malgré sa grande faiblesse, refusant de s'étendre, reste debout, rigide, soutenue par des coussins amassés autour d'elle. Elizabeth semble abîmée dans une sombre contemplation, le doigt dans la bouche. Elle ne se couchera qu'à la dernière extrémité, la tête tournée contre le mur. Son conseiller, Lord Robert Cecil, guettera en vain un signe l'acquiescement sur le nom de son successeur Jacques Stuart. En effet, un messager, aux portes du palais, est prêt à voler porter la nouvelle au fils de cette rivale détestée et jalousée de la reine : Marie Stuart.
La destinée, incroyable et imprévisible, va faire du fils de la reine assassinée, l'Héritier d'Elizabeth sur le trône d'Angleterre...