Les causeries de France Gelbert

Les Grands Ducs d'Occident

- Philippe le Hardi (1342 - 1363 - 1404)
- Jean sans Peur (1371 - 1404 - 1419)
- Philippe le Bon (1396 - 1419 - 1467)
- Charles le Téméraire (1433 - 1467 - 1477)

Les Grands Ducs d'Occident ! Quel titre majestueux ! Une histoire d'hommes dont les femmes sont pratiquement exclues. Il s'agit en effet de quatre hommes, quatre Valois qui occupèrent le trône ducal de Bourgogne de l364 à 1477. Siècle intense de splendeur, de richesse, de rayonnement intellectuel, mais aussi de guerre et de sang.
Quatre princes français et désirant le rester, sinon peut-être Charles le Téméraire, le dernier des chevaliers, belliqueux et rêveur à la fois.

Souverains d'Etats qui furent d'abord celtes, gallo-romains, burgondes (d'où le nom Bourgogne), enfin capétiens. La branche aînée de cette dynastie fera le royaume de France, la branche cadette, le duché de Bourgogne par apanage, héritage ou déshérence.

Et voici qu'en 1328, éclate un coup de tonnerre en royaume de France, le dernier roi capétien direct meurt sans postérité mâle, ce qui permet à la branche Valois de se précipiter sur le trône de Saint Louis.
Cela vaut mieux qu'un roi anglais, clament les grands féodaux !

La voie est donc ouverte au dernier fils du Valois Jean le Bon.
Ce pactole tant recherché, la Bourgogne, d'Autun à Tonnerre, suscite une rivalité sans merci. Le roi de France, Jean II le Bon, est en lice, manoeuvre et obtient l'héritage. Il fera toutes les promesses possibles aux Bourguignons :
_ Oui, ils resteront duché et non province du royaume...
_ Oui, ils garderont leur propre administration etc...

Jean II dit le Bon , s'il ne réussit pas à intégrer la Bourgogne au sein du royaume, projette d'y placer un prince de son sang, son plus jeune fils, Philippe.


Philippe le Hardi (1342 - 1363 - 1404)



Ce jeune Philippe encore auréolé de sa conduite lors de la bataille de Poitiers en 1356, où il combattit aux côtés du roi son père.Tout le monde se souvient de ses paroles passées à la postérité:
« Père, gardez-vous à droite, Père, gardez-vous à gauche ! »
Eh ! bien, cet adolescent superbe n'est pas seulement un guerrier, il se révélera un être adroit, patient et entreprenant.
Philippe né le 17 Janvier 1342, va devenir un homme de haute stature, noir et laid. N'importe, Philippe est affable, séducteur. Les chroniqueurs s'en donnent à coeur joie et pas n'importe lesquels : l'illustre Froissart, Christine de Pisan, première femme à avoir pu vivre de sa plume. C'est elle qui parle de Jeanne d'Arc dans une des ses oeuvres :
« Dittié ou Ditié de Jeanne en 1429 »
Poème dans lequel Christine de Pisan clame sa haine de l'Anglais et célèbre la délivrance d'Orléans.
Philippe, duc de Bourgogne, lui commande un ouvrage :
« La Mutacion de Fortune »
Le duc est grand amateur de toutes formes d'art. Ce mécène et ses descendants vont doter la Bourgogne d'un patrimoine somptueux.

Inspirés par l'exemple du roi de France Charles V (1336-1364- 1380), les ducs sont des bibliophiles avertis : livres, manuscrits. On voyage entre Aristote, Tite-Live, les auteurs du Moyen-Age. Le XIIIème siècle est représenté par le Roman de la Rose, de Renart.

A la Bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles, se retrouvent les commandes des ducs pour Dijon, Lille, La Haye. Les nombreux manuscrits ne sont pas là pour le décor, on remarque qu'ils ont été lus et manipulés.

En 1393, Philippe le Hardi achète l'épée glorieuse de Godefroy de Bouillon, héros de la première croisade. Cette épée que portera le fils de Philippe contre les Turcs, l'affaire tournera mal, Jean sans Peur fut fait prisonnier . On peut se demander si l'épée était authentique !

Les artistes attirés en Bourgogne sont protégés, pensionnés, parfois faits chevaliers de la Toison d'Or.

Grâce à la volonté de Philippe de Bourgogne, l'oeuvre sculpturale de la Chartreuse de Champmol vit son apogée avec Sluter, sujet bourguignon des Pays-Bas. Les mauvaises langues néerlandaises ne veulent pas qu'un natif de Haarlem crée un art bourguignon. Sluter est au-dessus de ces vaines querelles. Cet homme est de la même taille qu'un Michel-Ange.
J'ai relevé dans une biographie des ducs, une très belle phrase de l'auteur décrivant l'oeuvre magistrale de Champmol :
« C'est le Christ, dans le Christ, le Dieu... un Dieu mort n'est pas un cadavre. »

Sluter, Claus de Werve ne sont que continuité. Le dernier terminera la procession des 41 pleurants du tombeau du premier duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, d'une saisissante originalité.
Le ton est donné par Sluter qui exécute les deux premiers . Chacun d'eux affiche sa douleur de façon différente. Le drapé sert l'effet dramatique ! Il faudrait pouvoir s'asseoir devant chaque personnage et méditer.

Une autre merveille, entre autres, a résisté aux siècles : l'Hôtel- Dieu de Beaune fondé par Nicolas Rolin, chancelier de Bourgogne. A l'intérieur, se déploie le polyptique magnifique et haut en couleur de Roger de la Pasture plus connu sous son nom flamand de Roger Van der Weyden (traduction littérale).
Ce polyptique flamboyant occupait le mur de fond de la grande salle commune . Tous les malades pouvaient l'apercevoir, craindre ou espérer le « Jugement dernier ».

Van der Weyden n'est pas le seul à travailler pour le duché ; ils sont très nombreux, Qui citerai-je ? Les frères Van Eyck, Memlig etc....
Les Pays-Bas, crées par les ducs, ont vu fleurir l'art flamand. Les arts dûment protégés font partie de l'héritage bourguignon. La Bourgogne étant la France, pour la chauvine que je suis, cela fait partie de notre patrimoine. Quelle chance !!!

Abandonnons l'Art, revenons à la politique, au premier de ces quatre grands personnages, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, que l'on a décidé de marier à une héritière très riche, mais laide comme il se doit ! Il s'agit de Marguerite de Flandre. En prenant cette décision, le roi de France Charles V fait la fortune de son jeune frère et, sans le savoir, déclenche une puissance phénoménale.
D'un seul coup, la Bourgogne s'agrandit de l'Artois, des Flandres, Nevers, Rethel, la Franche-Comté .
Philippe, à présent riche et puissant, ne va pas faillir à ses devoirs de prince des Lys et court se ranger sous la bannière de son frère aîné, roi de France, lorsque ce dernier reprend la guerre contre l'Anglais. Charles V, roi de France, a dénoncé le traité de Brétigny signé en 1360 dans lequel la France abandonnait à l'Angleterre le Sud- ouest de notre pays contre la libération de son père, Jean le Bon. Charles V enrôle ainsi ses frères, dont un traîne un peu les pieds, le duc de Berry.

Hélas, ce sage roi meurt à quarante trois ans en 1380. Un grand monarque disparaît et laisse un héritier, un enfant de douze ans, dont les trois oncles, Anjou, Berry et Bourgogne vont se disputer l'influence ...et le pouvoir.

Philippe le Hardi est le plus puissant et se considère comme le « chef «. Il est très sollicité d'ailleurs, son beau-père débordé par une rébellion flamande l'appelle. La crise est partout. L'Eglise, en plein schisme, est gouvernée par deux, parfois trois papes.

La guerre, toujours la guerre, et son cortège d'horreurs. Le duc rapporte de sa campagne flamande, le fameux Jacquemart, horloge de Courtrai que l'on admire à présent à Dijon .

La Flandre abattue, Philippe le Hardi, triomphant, commande à un lisseur d'Arras (pays des Arrazi) une immense tapisserie. Une fois étalée sur le sol, le duc aime écraser sous ses pieds, ces hommes qui ont osé se dresser contre sa personne !
Fort de cette victoire, il pense un moment investir l'Angleterre, tel Guillaume de Normandie par exemple ! Finalement, le prince s'étendra par voie terrestre. Usant de toutes les armes, menaces et cajoleries, il hérite du Brabant.

Il reste toujours prince de France, mais la démence soudaine du roi de France, Charles VI, la soif de pouvoir du frère du roi, Louis d'Orléans, vont dresser le duc contre le second de ses neveux.

Bien sûr, il est puissant, riche, les héritages gonflent son escarcelle, mais les dépenses sont si importantes : campagnes militaires, goût du faste, la rançon exorbitante exigée par les Turcs pour la libération de son fils Jean. Tout cela coûte horriblement cher. Philippe le Hardi, apparemment sans souci, crée l'Arbre d'Or, un ordre de chevalerie qui annonce la Toison d'Or. Cette fois, il s'agit d'une dépense vraiment excessive et le duc doit renvoyer son propre insigne à l'orfèvre afin de diminuer la facture !

Occupé à marier ses filles soit en France, soit en Savoie, il les couvre de bijoux, de brocart, de dentelles (encore des dépenses !) et, lorsqu'il meurt, ayant contracté une mauvaise grippe, le 27 Avril 1404, le duc Philippe de Bourgogne est si démuni d'argent que son épouse Marguerite de Flandre ne peut payer son enterrement, renonce à la communauté et, telle un bourgeoise, va déposer sa bourse (vide), son trousseau de clefs et sa ceinture, sur le cercueil. La duchesse expédie ses fils mettre en gage l'argenterie, afin de régler les frais d'obsèques. Le somptueux tombeau était en cours d'exécution dans l'atelier de Claus Sluter... A-t-il jamais été payé ?
N'importe, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne a projeté son Etat vers un grand mais trop court destin.


Jean sans Peur (1371 - 1404 - 1419)



L'héritier de Philippe le Hardi, né le 28 Mai 1371, n'est pas plus séduisant que son père, c'est un petit homme noir, sale paraît-il, mais ambitieux, retors, un renard rusé. C'est un fonceur, il domine, roule, emporté par son élan tel un sanglier, d'après un chroniqueur. Jean de Bourgogne parle flamand, son père ne s'était jamais donné cette peine !

Le thème de cette vie sera, hélas, la haine qui va dresser l'un contre l'autre le nouveau duc et le frère du roi, Louis d'Orléans.

Jean sans Peur reproche au prince, ce fils de roi, ses folles dépenses, son acharnement à vouloir rallumer la guerre contre les Anglais et, en vrai démagogue, veut s'attirer les faveurs du peuple, vitupérant contre les impôts, allant jusqu'à proposer de payer sur sa propre cassette, voeu pieux sans nul doute. C'est le début de nombreux réquisitoires contre Orléans, ce viveur, ce gaspilleur !
Bourgogne a pour emblème, l'ortie.
« Qui s'y frotte, s'y pique»
Orléans, le bâton noueux.
« Je l'ennuie »
Voyant cela, Jean sans Peur, duc de Bourgogne fait dessiner un rabot agrémenté de copeaux d'argent, pour raboter le bâton évidemment ! Le parti bourguignon arbore cet emblème avec enthousiasme.

Un pamphlet court les rues « Le Songe véritable » attaquant les castes gravitant autour du roi de France, le pauvre fol, ces gens qui en «mettent plein leur bissac ». Jean sans Peur déclare vouloir réformer le régime, arrêter la chienlit.
Il tient un discours qui, pour n'être pas nouveau, n'en est pas moins vrai. Si seulement, on pouvait le croire !

La haine grandit entre les deux hommes, une haine mortelle dont l'aboutissement sera l'assassinat du duc d'Orléans, frère du roi. Une ignoble comédie, un piège ignominieux :
Orléans est soi-disant mandé par le roi, il part quasiment seul, la nuit est sombre. Soudain, vingt hommes surgissent et, malgré les cris du prince proclamant haut et fort son nom et son rang, il sera massacré, ses assassins s'acharnant sur sa dépouille.
Le duc de Bourgogne est soupçonné tout de suite, d'ailleurs il reconnaît sa participation à l'affaire....mais quitte Paris le 23 Novembre 1407
« J'ai pris les devants, dit-il, cet Orléans voulait me faire occire »

Sa belle-soeur, l'épouse du roi de France, Isabeau de Bavière, le craint. Elle sait qu'il est apprécié du peuple qui l'appelle le Libérateur, le Justicier. Enivré par son succès, il va jusqu'à commander une apologie de son crime :
« Il est permis de tuer un tyran » Le duc est partout à la fois, il apprend que Liège se soulève, se précipite au secours de son beau-frère Jean de Bavière. Cette fois encore, il est le sauveur, une espèce de Zorro finalement.

Ce champion épouvante la reine Isabeau à tel point, qu'affolée, elle quitte Paris, emmenant avec elle le roi et les princes. Elle sera obligée de se rapprocher de Bourgogne, de le réconcilier avec les Orléans, une « Paix fourrée » comme s'exclame le fou du duc, homme sage comme souvent les bouffons.
Tout le monde sait qui est le maître, qui détient le pouvoir. Cette haine va faciliter la création d'un clan adverse, le parti d'Orléans, aussitôt pris en main par le puissant duc d'Armagnac. C'est le début d'une terrible guerre civile qui va diviser les familles.

Jean sans Peur, duc de Bourgogne, oublie sa naissance, son sang de prince de France. Il va trop loin, il appelle le pire ennemi du royaume : l'Anglais. Evidemment, le sentiment patriotique tel que nous le connaissons, n'existe pas au XV ème siècle. Ces grands féodaux ne pensent qu'à leurs intérêts, leurs querelles de famille, ils sont tous liés par des liens de parenté, mais se commettre avec l'ennemi, avec celui qui menace le royaume , n'est rien que forfaiture, une véritable félonie.

Tueries, pillages, atrocités se multiplient de telle manière, qu'en 1412, affolés par l'ampleur de leurs actes, les deux partis tentent de trouver un arrangement.

Les Etats Généraux sont réunis en 1413, au cours desquels seront lus les cahiers de «Remontrances » adressés au roi de France, Charles VI, par l'Université de Paris, sur la mauvaise gestion de son royaume.
Les intellectuels, « ceux qui détiennent la vérité », s'en donnent à coeur joie !
Le parchemin des doléances est « gros comme le bras d'un homme ». Y sont dénoncés :
- Le nombre excessif de fonctionnaires cumulant les charges
- Les Finances qui ont été « mangées » par des affairistes oublieux du bien public.
Des noms sont cités, personnages arrivés au pouvoir grâce au népotisme. Ainsi, un certain André Griffart parent de la femme du prévôt de Paris, « Il s'est tellement rempli, qu'il est plein de rubis ». Pis encore, les dossiers s'accumulent à la Chambre des Comptes « Ils y sont ensevelis » Rien n'a changé semble-t-il !

Partant peut-être d'un réel désir de réforme et profitant de la faiblesse d'un roi dément et d'un dauphin insignifiant ( frère aîné du futur Charles VII ), le duc de Bourgogne est débordé par cette populace qu'il a flattée, ces écorcheurs entraînés par un nommé Caboche, tripier de son état. Vols,
pillages se multiplient. Le pavé de Paris se colore de sang. Le duc a dû serrer ces mains assassines.
Mais trop, c'est trop, assez de sang, assez de carnage...

Jean sans Peur, duc de Bourgogne, recule. Tout le monde aspire à la paix qui sera signée à Arras le 4 Septembre 1414. Nul fief ne lui sera retiré, mais il doit renoncer à toute alliance avec l'Angleterre.

Paris a peur. Des Armagnacs ou des Bourguignons, quel parti choisir ? Profitant de cette période troublée, le roi d'Angleterre Henry V descend en Normandie et la guerre reprend. Cela n'empêche pas l'Etat ducal de prospérer : les alliances matrimoniales, l'aide apportée à Liège, favorisent le pouvoir des ducs. L'Escaut est « fleuve bourguignon ».

Noires ont été les tractations entre les Orléans, l'Anglais et la Bourgogne. Trahisons, félonies et j'en passe. Hélas, le danger est toujours présent, ce brillant et ambitieux Lancastre, le roi d'Angleterre Henry V, veut s'approprier l'héritage qu'il revendique, le domaine capétien. Pour cela, il a décidé d'épouser la fille du roi de France.

Deux renards sont face à face, le Lancastre et le Bourguignon. Ils vont rendre la France exsangue.

Le royaume étant occupé par l'ennemi, le grand feudataire qu'est le duc de Bourgogne, aurait dû se précipiter. Il laisse au contraire les Armagnacs se faire battre ignominieusement à Azincourt.
Nous sommes en 1415 et subissons une défaite catastrophique ! Le duc de Bourgogne n'est pas venu aider le royaume des Lys, mais deux de ses frères y laissent leur vie. Ils n'ont pas voulu abandonner le pays de leur grand-père, ni le laisser sombrer dans le chaos.

Le destin, en même temps, frappe deux fils de France, deux êtres faibles disparaissent. Il reste au royaume, un prince, un nouveau dauphin, Charles, il a quinze ans, mais est rejeté par sa mère.

En Bourgogne, impérieux, se dresse le duc Jean sans Peur, collaborateur sans honte de l'Angleterre. Voici le texte félon de sa trahison :

« En Mai 1417, Jean, duc de Bourgogne, reconnaît Henry de Lancastre, roi d'Angleterre, et ses descendants comme héritiers de la couronne de France. »

Ecrit de la main du duc. Il préfère abandonner le royaume au Lancastre plutôt que de le laisser aux Armagnacs.
En attendant ce beau jour, il accentue la pression et avance en direction de la capitale. Les Anglais aussi ! Que peut faire un enfant, ce Charles accablé par le destin ?
Le drame se noue, la reine de France, Isabeau, installée par le duc de Bourgogne à Troyes, affirme gouverner le royaume. De son côté, le dauphin Charles, « soi-disant dauphin », se nomme lieutenant général remplaçant son pauvre père fol.

La France est divisée, écartelée. Paris qui était soumis aux Armagnacs , Paris, affamé, se livre à Bourgogne. Bernard d'Armagnac est massacré, son sang se mêlera à celui de trop nombreuses victimes. Le duc de Bourgogne, Jean sans Peur se tient loin de ces horreurs, il reste à Troyes en compagnie d'Isabeau. Il la ramènera triomphalement à Paris afin de remettre de l'ordre, exécuter les écorcheurs les plus célèbres.

La France et les Français sont bien malades et ne connaissent pas encore toute la vérité, l'extrême félonie du duc est encore dans l'ombre !

En 1419, le 11 Juillet, a lieu une tentative de réconciliation entre le dauphin et Bourgogne. Ils échangent des promesses au son d'un Te Deum solennel :

« Oui, nous allons bouter le roy d'Engleterre de ce royaume »

Ils doivent se revoir. Le jour et l'heure sont fixés, cinq heures du soir à Montereau sur le pont de l'Yonne, le 10 Septembre.

A partir de cet instant, la confusion est complète. Que s'est-il exactement passé ? De quelle façon l'assassinat du duc de Bourgogne a- t-il été perpétré ? A-t-il été tué d'un coup de hache ? Qui le porta ?

En tout cas, le duc d'Orléans est vengé. La légende raconte qu'un Chartreux de Champmol montrant le crâne de Jean sans Peur à François Ier de passage en 1521, lui aurait déclaré ceci :
« Sire, voici le trou par lequel Anglais entrèrent en France »

Jean sans Peur, plus flamand que son père, moins Français ? L'ambition, l'attrait du pouvoir transformèrent cet homme en traître de haute volée.


Philippe le Bon (1396 - 1419 - 1467)



Qui est le nouveau duc ? Le fils de Jean sans Peur, un jeune homme de vingt-trois ans. Il s'appelle Philippe comme son grand-père.
Lorsqu'il apprend l'horrible mort de son père, Philippe de Bourgogne est terrassé par la douleur. Son règne commence dans les pleurs et le chagrin.

Les contemporains le disent beau, le regard fier. Il aime le faste, l'or, les joyaux, les oeuvres d'art, les chevaux ...et les femmes.

Philippe, duc de Bourgogne, désormais toujours vêtu de noir, étale avec complaisance son luxe, ses trente maîtresses « connues », ses innombrables bâtards, déjà dix-sept recensés dont le célèbre Antoine, grand Bâtard de Bourgogne. Philippe a un caractère coléreux, mais une bonne nature. On l'appellera le Bon, digne successeur quant au mécénat de ses deux prédécesseurs. Son coeur n'aspire qu'à une chose, la vengeance. Il doit venger le meurtre de son père. Sa mère, Marguerite de Bavière, rumine les mêmes pensées. A- t-elle eu quelque influence sur sa soeur Isabeau, reine de France ? Peut-être l'a-t-elle convaincue que seuls les Anglais pouvaient sortir le pays de cet état de désastre ? Le roi d'Angleterre va, bien sûr, profiter de ces dispositions favorables à son égard.

Les hauts dignitaires, la reine Isabeau en tête, se liguent contre le dauphin Charles. Le résultat est le néfaste et invraisemblable traité de Troyes en 1420.

La honte est sur la France, sur le peuple qui, manipulé, va se livrer à l'Angleterre ! Le dauphin reste seul, rejeté par ses parents qui donnent leur fille Catherine en pâture au roi Henry d'Angleterre. Le pire est encore à venir, leur fils sera roi de France, le royaume capétien deviendrait anglais ! !

Paris, qui n'a rien compris, se réjouit, paraît-il, à cette nouvelle. Paris, mais pas tout le royaume, une partie reste fidèle au dauphin Charles. Heureusement !

On voit parader dans la capitale le pauvre roi, Charles le fol, et le duc de Bourgogne, accompagnés de deux félons tristement célèbres : l'un d'eux se nomme Jean de Luxembourg, mieux pourvu d'ancêtres que de scrupules.

Ce jeu lamentable provoque une réaction chez les Armagnacs qui se rangent du côté du dauphin. L'honneur est sauf, mais devra traverser l'horreur de la traîtrise d'un bûcher où sera immolée une jeune et inébranlable enfant.

Le duc de Bourgogne veut faire reconnaître le roi d'Angleterre, mais il se heurte à une certaine hostilité de la part de ses sujets.

L'ordre est en marche, lorsqu'un double événement se produit : le roi d'Angleterre Henry V meurt à l'âge de trente quatre ans, suivi de près par son beau-père Charles VI, en 1422.

Cette fois, le monde va s'arrêter, les cieux exploser, car les hérauts proclament l'enfant Henry, fils de Catherine de Valois et d'Henry V Lancastre, roi de France et d'Angleterre...

A des lieues de là, le dauphin se proclame roi de France, le 22 Octobre 1422. Il est Charles le septième.

Il y a deux rois en royaume de France, une pauvre France, un royaume martyrisé ! Le duc de Bourgogne ne s'y sent pas toujours très à l'aise, mais veut jouer une politique bourguignonne. Ses affaires prospèrent. Par ruse ou diplomatie, ce qui revient au même, le puissant duc rallie des villes comme Haarlem, Amsterdam. Les bourgeois préfèrent, et de loin, la suprématie bourguignonne propice au négoce, à l'autorité distante de la noblesse néerlandaise.

Ainsi par héritage ou déshérence, par la force, Philippe de Bourgogne crée un Etat nouveau, les plus riches territoires de l'Occident. Il est si occupé qu'il « oublie » de venir en aide à son allié anglais. Malgré cela, les victoires lancastriennes s'avèrent fructueuses pour le duc de Bourgogne.

Ces victoires forcent le « roi de France » Charles VII à reculer, à reculer encore jusqu'à Orléans qui va tomber et entraîner dans sa chute le destin d'un royaume, s'il ne s'était pas alors produit un miracle, l'apparition d'une toute jeune fille, dix-sept ans, presque une enfant, Jeanne.

Une histoire inouïe, une épopée prestigieuse : Vaucouleurs, Chinon, Orléans, Patay, Reims, l'échec sous les murs de Paris, de Charité-sur- Loire, et la fin, hélas, Compiègne, Rouen, le procès, le martyre.

Histoire si merveilleuse qu'elle pourrait sembler invraisemblable. La main de Dieu est sûrement là !

Le duc de Bourgogne ne semble pas avoir cru à la mission divine de la Pucelle, lorsque Jeanne insuffla la flamme du courage au timoré Valois et faire de lui un homme, un roi.
Cette jeune personne ne rentre pas dans les plans de Philippe le Bon.

Las ! Le soir fatal du 24 Mai 1430, la Pucelle remet son épée à Jean de Luxembourg.
Nouvelle qui fait accourir Philippe de Bourgogne. On l'a vu s'entretenir avec la prisonnière, malheureusement, personne ne sait ce qui s'est dit, et c'est fort dommage ! Ce que l'on sait, c'est qu'Isabelle de Portugal, dernière épouse de Philippe de Bourgogne, et future mère de Charles le Téméraire, a aussi désiré la rencontrer. C'est normal, Jeanne est si connue, tout le monde parle d'elle. Elle vaut son pesant d'or : 10.000 écus ! Voilà l'énorme somme déboursée par les anglais, il s'agit bien des deniers de Judas !

Le duc et la cour de Bourgogne sont impressionnés par l'enthousiasme suscité par Jeanne d'Arc, car le sort des armes commence à leur être contraire. Dès lors, leur chemin semble s'écarter de celui des Anglais. Peut-être Philippe de Bourgogne a-t-il été touché par la détermination de Jeanne cristallisée par sa mort ? Il note, en tout cas, l'impuissance nouvelle du régent anglais Bedford et désire se rapprocher du roi de France.

Ah ! comme il a bien fait de ne pas se rendre au sacre de l'enfant anglais à Paris en 1431 ! Philippe le Bon reste prince du sang, il ne pouvait avaliser le couronnement d'un prince étranger !

Mieux encore, il sent le royaume frémir. En attente... de quel événement ?

Doit-il rester l'allié de l'usurpateur ? Devenir le vassal félon d'un faux roi de France ? Son chancelier Nicolas Rolin le pousse à changer de front et assure :
«Plus est venu avant, plus a voulu monstrer en effet son cuoeur français »

Le duc de Bourgogne regrette de ne pas avoir combattu à Azincourt en 1415, mais n'a jamais accepté l'ordre de la Jarretière. Au contraire, il crée l'Ordre de la Toison d'Or, presqu'aussi célèbre que l'Ordre anglais. Les historiens restent un peu dubitatifs sur le choix de la légende de Jason dérobant la toison du bélier ailé. N'importe, l'Ordre rassemble vingt-trois chevaliers de nom et de bravoure irréprochables, dont des souverains alliés. L'ordre deviendra autrichien avec Maximilien d'Autriche, espagnol avec Charles-Quint. Le roi d'armes actuel est, je crois, le roi d'Espagne Juan-Carlos qui le porte lorsqu'il est en grande tenue.
Et si Otto de Habsbourg avait été couronné empereur d'Autriche ? L'Espagne a également hérité la terrible étiquette bourguignonne, bien que Charles-Quint n'ait jamais pu, malgré tous ses efforts, récupérer cette province.

Bien avant l'ère espagnole, le Bourguignon appelé « Le Valois quand même », comprend qu'il doit se rapprocher du roi de France Charles VII, et propose aux anglais d'avoir recours à la médiation de Rome qui jugera quelle est la dynastie qui doit régner sur le royaume capétien... Refus catégorique de l'Angleterre. Ceci étant, le fils de Jean sans Peur s'estime dégagé de toute alliance et se plie à la volonté générale. Vive la paix !

En 1435, est tentée, à grands coups de festins, tournois et joutes, une réconciliation. Mais il ne peut plus y avoir d'entente entre Lancastre et Valois. Donc, on signe une paix séparée le 20 Septembre.

Ah ! le roi de France paie cher, très cher, cette paix, il cède des villes importantes. Cela en vaut la peine, car la portée de ce renversement d'alliance est immense, mais la teneur de ce traité, comme il fallait s'y attendre, ne plaît pas beaucoup à Londres.

Philippe le Bon, duc de Bourgogne, rend Paris à son roi, mais certaines provinces flamandes sont en effervescence Les commerçants s'inquiètent. Tout cela ne va-t-il pas jeter une ombre sur leur négoce ?

Tout le monde en a assez. La trêve est décidée, la « Guerre de cent ans » interrompue pour une courte durée, va permettre la libération d'un illustre prisonnier, Charles d'Orléans.

Chacun s'occupe de ses affaires. Le duc de Bourgogne agrandit son duché. En vrai souverain, il pose, dépose, installe un de ses bâtards sur le siège vacant du cardinal de Cambrai, met la main sur le Luxembourg, complote avec le nouvel empereur Frédéric de Habsbourg. Philippe le Bon a un rêve, recréer la Lotharingie, celle du traité de Verdun de 843 signé entre les petits-fils de Charlemagne.
Ce projet de royaume inquiète beaucoup l'empereur germanique : il s'agirait de démembrer le Reich ( l'Empire ). Le duc de Bourgogne ne coiffera pas de couronne. Pour se consoler, il fait des entrées solennelles et tonitruantes dans les villes soumises. Lors de la défaite gantoise, Philippe le Bon pénètre dans la ville sur son cheval blessé lors de la bataille et pansé de brins d'étoupe.
« L'animal devait participer à la gloire de son maître »

Pendant que le duc de Bourgogne s'affaire dans les Flandres, aux Pays- Bas, il ne s'occupe pas de la France ! Le roi et le duc évitent de se rencontrer. Philippe reste dans la neutralité lorsque la guerre enfin se termine en Guyenne en 1453, mais son sang se remet à bouillir lorsque l'Europe, consternée, apprend la chute de Constantinople. Ce désastre, Byzance devenue ville impie, a un impact inimaginable en Occident.

Philippe de Bourgogne, lors d'un célèbre banquet, prend l'engagement d'entreprendre « le Saint Voyage », aller combattre les Turcs. ce sera le « Voeu du Faisan ».
Nous sommes le 17 Février 1454, à Lille. Réunis autour d'un faisan vivant paré d'un somptueux collier, arrive un géant représentant le Grand Turc, le suit Dame Eglise, en larmes, implorant l'aide de l'Occident afin de sauver Constantinople des Ottomans.
A cet appel, répondent aussitôt le duc de Bourgogne et son fils le comte de Charolais, des chevaliers arborant la Toison d'Or sur leurs somptueux vêtements. Tous font serment de partir en croisade. Ils savent fort bien qu'ils ne tiendront jamais leur promesse.

Le roi de France ne semble pas non plus très enthousiaste, il a d'autres soucis en tête : son fils, le dauphin Louis ( futur Louis XI ) est en rébellion ouverte et réfugié, avec son épouse Charlotte de Savoie, chez le duc de Bourgogne qui leur assure le vivre et le couvert. Heureusement, car ils sont démunis de tout. A la mort du roi de France, son beau-père, la pauvre et si laide Charlotte se rend à Reims, ville du sacre, ayant emprunté les haquenées de la belle-fille du duc !
Celui-ci est aussi fastueux que le nouveau souverain l'est peu. Philippe le Bon accompagne le roi lors de l'entrée solennelle dans Paris en si grand équipage, que la piteuse escorte royale passe inaperçue.
Philippe de Bourgogne est prêt à aider son neveu de ses conseils avisés, mais Louis XI ira prendre avis ailleurs que chez ces grands féodaux.


Charles le Téméraire (1433 - 1467 - 1477)



Philippe le Bon, cet homme si prolifique, eut beaucoup de mal à avoir une descendance légitime. Enfin, sa dernière épouse Isabelle de Portugal lui donne, le 10 Novembre 1433, un fils, Charles. Il est, comme ses prédécesseurs, laid, noir et la mâchoire pendante, signe de race dans la maison de Bourgogne. Charles, comte de Charolais, n'est pas ce que l'on peut appeler sociable ou d'humeur agréable, il est renfermé et n'aura jamais cette bonhomie apparente qu'affichait son père !
Celui que l'Histoire appellera le Téméraire est, en fait, un prince d'une époque révolue.
Ambitieux, nourri de romans de chevalerie, rêvant de conquêtes, Charles est un homme honnête, peut-être le plus honnête de son temps. Il est aussi le dernier des chevaliers, conquérant, entreprenant mais velléitaire. Grand mécène, lui aussi, et... chaste, trait extraordinaire pour l'époque qui annonce la Renaissance. Il se retrouvera dépouillé, abattu par la perfidie de ses adversaires dont le plus important est notre grand roi Louis XI.
Comme lui, Charles doit attendre assez longtemps son fabuleux héritage : Philippe le Bon, duc de Bourgogne, vécut durant de trop longues années. La même pensée habite le coeur du Valois, Louis, attendant impatiemment la disparition de son père, le roi de France Charles VII.

Louis est roi de France depuis 1461 et jette aux orties tout ce qui lui rappelle son père. Il ne pense qu' « aux vengeances », déclare le célèbre Commynes.
Ce Commynes ! Fameux personnage ! D'abord chroniqueur de Charles le Téméraire, il passe plus tard au service de Louis XI. Commynes est le biographe du futur duc de Bourgogne, du Téméraire : l' espoir de la dynastie bourguignonne a connu, raconte-t-il, les splendeurs de la cour de Bourgogne, les largesses de son père qui aimait étaler son luxe et ses bâtards. Ce n'est pas le genre de Charles qui s'oppose à Philippe le Bon et à une cour où son air sévère, austère, déplaît.

Jean sans Peur eut les mains rougies par le sang, Philippe le Bon fut un démagogue flattant le populaire, Charles, lui, est gagné par une ambition démesurée. Les rapports « père-fils » sont haineux et pousseront Charles à s'exiler de la cour. Deux princes en exil. Le futur Louis XI, lui aussi, a dû fuir loin de son père et s'est réfugié chez le duc de Bourgogne où il se trouve très bien. Son hôte ne sait pas encore qu'il a donné asile :
« au renard qui lui dévorera un jour ses poulets ! »

Deux cousins ambitieux, dévoués à leur cause, leur Etat. La haine réciproque est si grande qu'un des deux devra disparaître. Louis XI veut l'anéantissement de la Bourgogne.
Pour Charles de Bourgogne, le Valois est déjà une énigme. Il ne voit qu'un homme vicieux, ombrageux et s'étonne de sa joie à l'annonce de la mort du roi de France Charles VII...son père !
Ce sera Philippe le Bon qui déposera la couronne sur la tête de Louis, geste empreint de signification ! Le duc de Bourgogne a « fait » le roi de France !
Autre fait inquiétant, le duc faillit arriver à Reims accompagné de cent mille hommes, heureusement réduis à trois mille... une vraie démonstration de force !

Charles voit son père accepter la perte de la Picardie contre monnaies sonnantes et trébuchantes, et commence à soupçonner les manoeuvres de « l'Araigne » . Le vieux duc n'accepte pas les remontrances de son fils et lui « coupe les vivres ». On raconte que Louis, alors dauphin de France, aurait tenté de le faire déshériter, mais se serait attiré une réplique cinglante de Philippe le Bon, priant le Valois de bien vouloir se mêler de ses affaires !

Et c'est la guerre fomentée par le comte de Charolais, entouré d'un ramassis de féodaux accrochés à des principes que Louis veut abolir. Ces Grands écartés du pouvoir, obligés de laisser la place à de petits bourgeois sortis de rien !

Charles le Téméraire déclenche les hostilités. Il est blessé au cours de la terrible bataille de Monthléry en 1465, et conservera une cicatrice qui permettra l'identification de son cadavre à Nancy.

Pour le moment, tout le monde pense que Paris va tomber en souriant dans les bras des ducs, mais la foule, versatile comme toujours, change d'avis et le siège de la ville se poursuit.

Comment Louis XI pourrait-il céder aux exigences bourguignonnes ? Comment pourrait-il abandonner la Normandie, les villes de la Somme ? Et pourtant, en Octobre 1465, la France doit restituer Péronne, Boulogne etc.. La France est dépecée, mais le roi garde un visage souriant.
Les rebelles écoutent l'héritier de Bourgogne leur rappeler un excellent adage qu'ils n'appliquent guère :
« Messeigneurs, vous et moi appartenons au roi, notre souverain seigneur, et sommes tenus de le servir en tout chaque fois qu'il aura besoin de nous »
Belles paroles en l'air ! Tous ces grands féodaux haïssent le roi, tous désirent le voir vaincu, abattu, mais subsiste peut-être encore le vieux sentiment d'obédience à la personne royale. Pourtant le roi de France n'est pas dans une situation très brillante, il a perdu des provinces. Certaines villes comme Liège, enclave française au sein de la Bourgogne, doivent payer la défaite un prix exorbitant.
Dinant est livrée au pillage de la soldatesque. On peut écrire :
« Cy fut Dinant »
Ce sera le chant du cygne du « Bon duc » Philippe enterré avec la pompe habituelle, les «plourants » vêtus de noir arborant les armoiries du défunt.

Ah ! le nouveau duc est bien différent, il mène une vie quasi- ascétique, est infatigable, épuise tous ses gens y compris ses chevaux.

Il y a du travail, beaucoup de travail : justice, finances, armée doivent être réorganisées. A la grande surprise de ses contemporains, Charles prend une importante décision, il sépare le trésor privé du patrimoine public. Innovation pour l'époque !

Le duc n'a pas l'intention d'entretenir une cour d'oisifs, il rémunère ceux qui travaillent pour lui.
« Cela fait petit bourgeois » marmonnent les hobereaux. C'est à la mode, Louis XI donne l'exemple.
Contre le Téméraire, duc de Bourgogne, se dressent les Flamands frondeurs, attachés à leurs libertés, leur négoce . Charles n'aime pas ces pays de Flandre, mais ne peut y toucher, car la France accourrait aussitôt. Le pire pourrait alors se produire : La France et l'Angleterre unies contre la Bourgogne !

Pauvre Angleterre éreintée par ses guerres civiles appelées la guerre des Deux Roses. Lutte pour le pouvoir entre deux dynasties, la maison de Lancastre et la maison d'York. Le duc de Bourgogne aimerait bien se rapprocher des Anglais ; pour cela, il demande la main d'une princesse d'York.
Un mariage somptueux, spectacles, feux d'artifice. Tout cela coûte une fortune, mais Charles a d'autres projets beaucoup plus onéreux. Il prépare, ils préparent, je parle du duc de Bourgogne et du roi de France... la guerre !

Le Téméraire invite le roi à Péronne. Une invitation franche, sans malice, il n'a pas l'esprit tortueux de son cousin. La suspicion s'installe, les massacres perpétrés à Liège rompent la fausse cordialité existante. Fortement soupçonné d'avoir fomenté cette révolte, Louis XI est retenu à Péronne. Captivité masquée, en fait le roi de France est bel et bien prisonnier. On lui demande d'aller châtier les rebelles liégeois, ceux qu'il avait poussés à la révolte !

Louis se fera destructeur joyeux de Liège. Le comédien est en grande représentation, le roi entre en armure dans la ville au cri de :
« Vive Bourgogne ! »
Son destrier levant haut ses sabots au dessus des cadavres amoncelés.....

Que d'atrocités, que d'horreurs ! La honte est sur le roi de France qui supporte très mal tout cela. Qui peut sortir indemne de cette aventure ? Le duc de Bourgogne, bien sûr.
C'est un fâcheuse affaire. Brocardé, moqué l'universelle Araigne, va dévoiler une ruse devenue à présent légendaire. Louis a décidé d'abattre son adversaire, le roi a décidé d'unifier son royaume, Louis XI, c'est la France.

La Bourgogne n'est encore qu'un essai de provinces, de peuples différents, nous dirions à présent un « melting pot ». A cette mosaïque de peuples, Charles de Bourgogne rajoute l'Alsace achetée à l'Autriche. Il a une idée qui n'est pas nouvelle : se rapprocher de l'accession à l'empire.
Aux yeux de l'Europe, il a une stature de chef militaire, capable de mater les cantons suisses , les Turcs peut-être ? Charles de Bourgogne n'est pas un politique, il est mal accepté par ses sujets. Il méprise les Flamands qui, d'après lui, aiment trop l'argent. Cet argent dont il a tant besoin. Pour l'obtenir, il rudoie, menace ces peuples de Flandre qui en ont assez de payer des guerres si peu favorables au commerce :
« Soyez bons sujets, je vous serai bon prince »
Prince, il l'est, mais il veut davantage, il veut une couronne, celle de « roi des romains » par exemple. Pour cela, il doit rendre sa candidature valable, démontrer sa puissance. Il va s'agrandir vers l'Est, jeter les bases d'un royaume rhénan. Oui, mais...
La France ? Louis XI ne peut supporter une Allemagne renforcée par les Etats bourguignons. Beaucoup trop dangereux. Le roi de France doit empêcher la marche de Charles vers l'empire, il accuse le duc de forfaiture, et se perd dans une guerre où il croyait avoir pensé à tout. Le duc de Bourgogne est résolu et fortifie les frontières de Hollande. Autre étape, le mariage de son unique héritière, Marie, avec le fils du chancelant empereur d'Autriche qui trouve la couronne de Charlemagne bien lourde mais est si heureux d'unir son fils à la puissante maison bourguignonne.
Il s'agit d'un mariage arrangé par le duc Sigismond d'Autriche qui veut l'Alsace en échange de ce mariage et ...une aide militaire contre ces terribles, ces sauvages montagnards que sont les Suisses ! Marché conclu malgré les réticences de l'empereur lui-même. Il sait que Charles veut être désigné comme son successeur, couronné tout de suite « roi des romains », à charge de transmettre cette couronne à son gendre Maximilien, époux de Marie de Bourgogne. Le duc de Bourgogne désire « un droit de regard »sur la politique autrichienne. L'affaire a l'air de se conclure. L'empereur attend Charles à Trèves. Il n'est pas bien imposant, lourd, morne, craintif, il cache sous ses robes brodées un pied-bot dû, dit-on, à sa façon d'ouvrir les portes à coups de pied !!
Son fils Maximilien est, grâce au ciel, beaucoup plus sympathique. Les pourparlers commencent, de commission en commission, l'empereur prend peur, il a peur de cet homme dominateur, exigeant. Charles de Bourgogne l'affole. La veille du couronnement, il s'enfuit. A cette nouvelle, le duc entre dans une rage folle et brise tout le mobilier de ses appartements.

Malgré tous ces avatars, Charles de Bougogne croit toujours à son rêve, il a l'Alsace mais doit soutenir l'Autriche contre les Suisses que Charles méprise : constitution trop démocratique à son goût... Comment ce féodal admettrait-il semblable institution. Ce prince brillant ne veut pas comprendre, il méconnaît la force des Flamands, celle de Louis XI et la valeur guerrière des Suisses.
Il va payer très cher cette ignorance méprisante.

Deux mondes vont s'affronter, deux époques. La Confédération Helvétique comprend huit cantons, dont les plus importants : Berne, Lucerne, Zurich. Races différentes, langues différentes, mais un seul coeur.
Ils se battront pour leurs terres, leurs libertés. Ce sont d'excellents soldats, leur courage leur vaudra une renommée certaine. Ils loueront leurs services, leur piétaille est unique, ils créent l'infanterie et se battent avec lances et couteaux. L'Anglais est un archer, le Suisse, un piquier.

Charles le Téméraire n'ignore pas leur valeur militaire, il désire rester en bon rapport avec eux pour attaquer ensemble le roi de France, peut-être ?
Ce dernier est justement en train d'allumer les brasons qui vont enflammer les voisins des Bourguignons et rameuter des chiens enragés contre eux. La première, l'Alsace se dresse contre Bourgogne et entraîne avec elle les Suisses.
Charles, engagé dans sa campagne rhénane, ne peut se battre sur deux fronts. Il calme les Suisses, ne perd pas de vue ses ambitions allemandes et lance ses condottieri à l'assaut de Cologne, sans grand succès !

Hélas, pendant ce temps, en accord avec la France, les cantons déclarent guerre officielle au duc. Les incendies s'allument partout. Ses anciens alliés l'abandonnent.

Charles de Bourgogne est seul, désespérément seul ! A ses pieds a été jeté un gantelet sanglant qui signifie guerre à outrance ... En 1475, La Picardie est dévastée par Louis XI.
La « furie bourguignonne » s'empare alors du dernier des ducs, effraie les princes germaniques et les pousse à demander une trêve indécise certes, mais signifiant, pour un temps, l'arrêt des hostilités.

A cette nouvelle, le nouveau roi d'Angleterre Edouard IV, un York, décide de débarquer à Calais, terre anglaise, ne l'oublions pas. Mais il ne trouve personne à son arrivée, son allié bourguignon n'est pas là pour l'accueillir et paraît peu décidé à le soutenir contre le royaume de France. Terriblement déçu, le roi d'Angleterre se résigne à une paix vivement souhaitée par ses sujets.
Brillante démonstration de Louis XI qui détache ainsi l'Angleterre de la Bourgogne ( traité de Picquigny, 1475 ).

Du côté du Téméraire, ce n'est qu'amertume abattement, il ravale sa rage et, au vu de ses troupes épuisées, signe à son tour une paix de neuf ans.

Suprême astuce du Valois, le roi a juré de ne pas attaquer la Bourgogne, mais n'a pas promis de ne pas pousser les autres à le faire !

C'est la lente descente aux enfers, Charles de Bourgogne ne sait plus où il en est, se perd dans des rêves chimériques. Le duc ne supporte plus ces sauvages montagnards, frustes, rudes. Il insulte leurs envoyés. Les Suisses mènent des expéditions sanglantes, seul Genève sera épargné, payant un tribut énorme : bijoux, or, etc... cloches d'église !
Charles noie son courroux dans le sang, les Suisses sont violentés, massacrés, mais d'un seul élan, les cantons frères se sont levés pour venger leurs congénères et décrocher des arbres les quatre cents cadavres qui s'y balancent encore !
Les Suisses se perchent sur les hauteurs, déferlent sur l'armée bourguignonne. Ces «Sauvages» pillent le camp : le diamant de Bourgogne « Le Grand Mogol » est vendu à un prêtre pour un écu... Tapisseries, draperies d'or disparaissent, l'artillerie est abandonnée sur place.
Les « sauvages » pendent aux mêmes arbres les hommes de Bourgogne. Pareille défaite, pertes si grandes transformèrent le duc de Bourgogne en bête prostrée.
Charles de Bourgogne ne se lave plus, ne se fait plus raser durant des jours. Un homme dépressif qui, pourtant, va se jeter de nouveau dans la guerre, enrôler des troupes, fondre une nouvelle artillerie. Tout cela prend du temps et permet aux confédérés de se regrouper. « Ils se levèrent en masse, lui flanquèrent une nouvelle raclée et massacrèrent ce qui restait de l'armée bourguignonne ».
Sautant sur un cheval, Charles gagne à grand peine Genève. Là, il supplie la duchesse de Savoie, Yolande, de lui donner de l'aide et des hommes. Comme elle refuse, eh ! bien, le duc la fait enlever et demande à ses Etats de lui fournir 40.000 piétons.
Non, la réponse est définitive, les provinces en ont assez de payer ces guerres ruineuses, très préjudiciables au négoce.
Le duc de Bourgogne sombre dans une dépression aussi noire que la fatigue et le dénuement de ses fantassins et la chute de ses rêves. On peut penser que Dieu a frappé ce souverain pourtant parmi les plus intègres de son temps, alors que son cousin Louis de France aurait dû subir cent fois la foudre divine !!

Et ce sera la dernière bataille... A l'aube, Charles a décidé de se jeter sur les Lorrains, de prendre Nancy. Il n'a plus d'amis. L'Angleterre a fait la paix avec la France. Milan n'apportera aucune aide, la Savoie est dans l'obédience de la France, l'Allemagne fait bloc contre Bourgogne, la Flandre ne fournira plus aucun soldat. Tout est fini, Charles le sait et s'achemine vers son destin. La Bourgogne a rêvé, elle a perdu...
Le froid intense de ce 5 Janvier 1477 pénètre le duc et glace son coeur. Cependant, il marche, entouré de soldats fantômes. Dix ou douze mille dont seulement trois mille sont sûrs. En face, sous les bourrasques de neige, s'avancent les Suisses, les Lorrains, environ neuf mille hommes. Ils représentent seulement l'avant-garde de tous ces seigneurs qui prendront part à la curée finale.

A genoux dans la neige, les fantassins ont fait leurs prières. Ils sont prêts. Le massacre peut commencer. L'arrière-garde, trahie par le condottiere félon Campobasso, est passée au fil de l'épée.

Le duc de Bourgogne est partout à la fois, se battant comme un lion au plus fort de la mêlée, surgissant soudain l'arme haute et décidée. On l'a vu, on l'a suivi, mais soudain, ses fidèles le cherchent. Où est-il ? ... Il a disparu.

Blessé, il aurait essayé de traverser un étang glacé sur lequel son cheval aurait perdu pied.
Dans le crépuscule glacé, une voix aurait retenti :
« Sauvez le duc de Bourgogne ! »
Personne ne répond à cet appel déchirant, personne ne se précipitera à son secours, mais il a chèrement défendu sa vie, même contre les loups.
Cela est sûr. Lorsqu'on le retrouve, son corps est couvert de blessures.

Les vainqueurs finiront par découvrir la pauvre dépouille. Le duc de Lorraine le fit déposer sur un lit de parade dans une grande salle tendue de noir. Le menu peuple refusera de croire à sa mort pendant de longues années...On ne sait toujours pas exactement où se trouvent les restes du dernier grand duc d'Occident !
A Nancy ? A Bruges ? Le héros perdu dans ses rêves nous intéressera toujours, son âme inquiète nous interpellera toujours. Ame sûrement désolée de la mort tragique de son héritière Marie et de voir la chère Bourgogne retomber dans le giron de la France. Tout est perdu, pensera-t-elle !







Non, Philippe le Hardi resta toujours fils de France, Jean sans Peur faillit l'oublier, Philippe le Bon sentit renaître le sang des Valois et Charles le Téméraire fut notre dernier chevalier traînant ses rêves impossibles.

Non, tout ne fut pas perdu. Le rêve d'un royaume s'évanouit certes, mais, en un siècle, les ducs donnèrent un élan incomparable à leurs états, le prestige d'une cour inégalée. Il reste ce patrimoine inestimable dont nous ne les remercierons jamais assez.


1 La tige de cette dynastie est Charles de Valois ( 1270-1328 ) frère de Philippe lV le Bel roi de France (1268-1285-1314 )
2 Il faut entendre par là, un grand bretteur, un grand donneur de coups d'épée.
3 Au Moyen-Age, on disait la Comté
4 Il représente la famille de Jacques Mart frappant les heures sur une cloche à coups de marteaux
5 Bernard d'Armagnac est le beau-père de Charles, fils aîné du prince Louis d'Orléans.
6 Charles VII n'a pas encore été sacré ...
7 Craignant sans doute punition pour sa méchante vie, Nicolas Rolin fondera les Hospices de Beaune
8 Charles d'Orléans, fils aîné de Louis d'Orléans, sera le père d'un futur roi de France, Louis XII.
9 Louis XI
10 Titre du Saint Empire romain germanique porté par le successeur désigné de l'empereur régnant. Le Saint Empire fondé en 962 par Othon Ier roi de Germanie couronné à Rome et à Trèves. A l'origine de tout cela, le grand souvenir de Charlemagne. Les souverains d'Occident se battront pour cette couronne mythique. Le Saint Empire fut dissous par Napoléon en 1804.
11 Calais ne redeviendra français qu'en 1558