Aliénor d'Aquitaine (1120 - 1204)
Parler des femmes
est à la mode! Mais essayer de raconter la vie d'une
Aliénor d'Aquitaine ayant vécu au XIIe siècle, n'est pas très facile!
Aliénor nous plaît, elle est l'exemple à suivre, la Femme que l'on
appelle aujourd'hui libérée !
Libérée, mais de quoi ? J'ai toujours pensé que les femmes restent
maîtresse de leur destinée si elles le désirent et si, comme l'assure
Jacqueline Tabarly, elle savent "rendre les clés de la maison qu'elles
ont gardé pendant la guerre!" Belle phrase, n'est-ce pas?
Régine Pernoud, elle, nous a démontré que les femmes, au Moyen-Age, étaient finalement bien plus indépendantes que celles des époques dites modernes!
Aliénor d'Aquitaine vécut en pleine époque romane. Les historiens ne
se sont pas très sûrs de l'année de sa naissance, en 1120 ou 1122 à
Bélin en Gironde. Elle descend de l'illustre famille d'Aquitaine. Son
grand-père Guillaume, le premier des troubadours, est un être
terrifiant de vie et va lui transmettre cette violence. Il se rendit
célèbre par ses démêlés avec l'Eglise et sa vie plutôt agitée.
Quant à son père, il se vit admonester par Bernard de Clairvaux qui
vint le conjurer de rentrer dans l'orthodoxie, mais le saint homme
subit une réponse d'une telle violence qu'il ne dût son salut, dit-on,
qu'à la rapidité de ses jambes!
Aliénor reçoit une éducation soignée, à la hauteur des prétentions de
la maison d'Aquitaine.
Elle parle plusieurs langues, fréquente troubadours et trouvères
, rencontre des bardes armoricains,voire des musulmans venus d'Espagne.
Ce milieu raffiné explique l'intérêt qu'elle portera toujours aux Arts
et aux Lettres.
Ses moeurs sont plutôt libres, en cela elle suit l'exemple donné par
sa famille! Elle est confiée, lors d'un pélerinage de son père à
Compostelle, à son jeune oncle Raymond de Poitiers, à peine plus
âgé qu'elle, et aura, avec lui, des relations sans doute bien proches
de celles de l'amour. Nous le retrouverons plus tard à Antioche.
En 1137, Aliénor épouse le fils aîné du roi de France Louis VI. Tout
de suite, le ministre Suger, le grand Suger, comprend le beau parti
que représente la jeune duchesse, héritière du domaine d'Aquitaine, et
se montre enchanté de cette union car le domaine royal qui consiste, à
l'époque, en une étroite bande de territoires s'étendant depuis le
cours de l'Oise à la hauteur de Soissons jusqu'à Bourges : c'est-à-
dire l'Ile de France, l'Orléanais, une partie du Berry. Ce territoire
va s'étendre de façon spectaculaire.
Bien sûr, le roi de France est le suzerain de grands féodaux, mais
ils sont, pour la plupart, beaucoup plus riches et puissants que lui,
tels le duc de Normandie, les comtes de Toulouse, de la Marche, de
Champagne. Le duc d'Aquitaine détient un domaine opulent ouvert sur
l'Océan, les villes de Bordeaux, Bayonne, La Rochelle (toute
nouvelle).
Aussi Suger se réjouit-il à la perspective de ce mariage, car le
royaume s'agrandira d'autant.
Dans sa hâte, il précipite la cérémonie qui sera célébrée au mois de
juillet de l'an 1137.
Le mariage a lieu en la cathédrale Saint André de Bordeaux. Aliénor a
quinze ans, elle est rayonnante de toute sa beauté printanière.
Vêtue d'une robe écarlate, sûre d'elle, habituée aux regards et aux
hommages, elle domine le jeune prince Louis assis près d'elle. Il est
vrai que l'héritier de la couronne de France est un frêle adolescent
de seize ans qui semble avoir grandi trop vite.
Suger, craignant peut-être quelques manifestations, les fait
couronner en même temps duc et duchesse d'Aquitaine à Poitiers. Mais,
à ce moment, arrive la nouvelle de la mort du roi de France, Louis VI.
Les adolescents vont donc faire leur entrée dans Paris comme roi et
reine de France. Paris n'est pas encore la capitale de la France, il
ne le deviendra qu'à la fin du XIIe siècle.
Assise sur sa haquenée, Aliénor aperçoit la ville, le fleuve parsemé d'îles verdoyantes, dont la plus scintillante, l'île de la Cité ceinturée de remparts, crainte toujours vivace chez les Parisiens d'une nouvelle invasion normande. Paris qui voit se former son université...université éclaboussée d'un scandale qui fait encore jaser les clercs et les étudiants. Ils se souviennent tous d'un événement survenu il y a une vingtaine d'années, l'humiliante mutilation subie par Abélard. La jeune reine s'est sûrement fait raconter l'étonnante histoire de cette jeune Héloïse amoureuse de son professeur!
Pour le moment, Aliénor pose son pied dans ce triste palais de la
Cité. Combien il est lugubre ce palais et combien est austère cette
cour de France!
Aliénor décide de transformer tout cela. Elle accueille des chevaliers
aquitains, poitevins, des troubadours, fait évoluer la mode, encourage
les jeux... même libertins! Pendant douze ans de présence à la cour,
elle aura une influence primordiale sur l'évolution des moeurs du
Nord. Elle est une femme d'esprit et apprécie ses troubadours vantant
les plaisirs de la "fine amor", l'Amour Courtois, à ces frustes et
farouches guerriers du nord. On leur conte les exploits de personnages
féeriques : le roi Arthur fait son apparition et rêver son auditoire.
Tout cela parsemé de quelques touches d'anticléricanisme, vieilles
traditions dans la maison d'Aquitaine!
Malheureusement, ces innovations choquent cette population nordique,
toujours un peu jalouse de ces gens des pays d'oc derniers
représentants du raffinement romain mais considérés, au nord de la
Loire, comme légers et futiles...
La reine règne aussi sur le coeur de Louis, l'influence fortement, a
la malencontreuse idée d'écarter Suger et fait exiler sa belle-mère
(!). Aliénor se mêle de politique et cherche à faire revivre ses
prétentions sur le comté de Toulouse.
Elle entretient une polémique avec Bernard de Clairvaux.
Cet ancien moine de Citeaux, a été le premier abbé de Clairvaux, mais
est surtout considéré comme l'arbitre incontesté de tout conflit se
passant dans la Chrétienté. Certains historiens lui reprocheraient
peut-être de mélanger un peu trop la grandeur du royaume du Christ et
la puissance de la papauté!
Enfin la reine et le saint homme finissent par trouver une sorte
d'entente : Aliénor se désespère de ne pas donner d'héritier au
royaume, saint Bernard lui promet, si elle recherche la paix
du royaume, de prier le ciel d'exaucer ses voeux... Eh! bien, un peu
plus tard, Aliénor mettra au monde une fille.
Alors qu'elle est occupée par sa toute nouvelle maternité, le roi
Louis VII peut commencer un règne plus personnel. Il rappelle Suger
et, répondant à l'appel de saint Bernard, décide de se croiser
en 1147.
Les chrétiens sont très inquiets car Edesse, en Terre Sainte, est
tombée entre les mains des Turcs. Que vont devenir les foules de
pélerins qui font le saint voyage vers Jérusalem?
Louis VII, premier roi de France à prendre la croix, "décide"
d'emmener avec lui son épouse, peut-être poussé par l'inquiétude et la
jalousie! Quoique Michelet avance une autre hypothèse plausible : la
présence d'Aliénor est peut-être nécessaire pour s'assurer la fidélité
des chevaliers gascons et poitevins.
La jeune reine fera donc partie du pélerinage d'un air plutôt
contraint et proclame alors avoir épousé un moine!
Ils arrivent à Constantinople et contemplent, éblouis, les merveilles
que recèle la cité. Le moindre monument, le plus petit palais, est
recouvert d'or, de mosaïque. Aliénor, éblouie, compare ces splendeurs
avec le misérable palais de la Cité!
Ils laissent Constantinople et arrivent à Antioche où la reine
retrouve son cher oncle Raymond de Poitiers. Ces retrouvailles ne vont
évidemment pas du goût du roi, car Aliénor veut rester avec Raymond.
Fou de rage, Louis forcera son épouse à quitter la ville et continuer
sur Jérusalem.
A partir de là, les historiens prennent parti et vont faire d'Aliénor
une espèce de Messaline.
Où est la vérité? Il n'y a pas de fumée sans feu évidemment!
Le pélerinage se termine très mal, le roi et la reine rentrent chacun de leur côté. Alerté par Suger, le pape les recueille, tente de les réconcilier. Le résultat se manifeste neuf mois plus tard, par la naissance d'un second enfant, en 1150... encore une fille, hélas! Le fossé ne fera que se creuser entre les deux époux. Et l'histoire prend mauvaise tournure avec l'affaire d'Anjou.
Louis VII a des problèmes avec Geoffrey le Bel Plantagenêt. Ce comte d'Anjou marié à la petite fille du conquérant Guillaume de Normandie, Mathilde, n'a qu'une idée : faire de leur fils Henri, un roi d'Angleterre! Pour le moment, le jeune Henri Plantagenêt n'est que duc de Normandie, vassal du roi de France et vient prêter hommage. Epoque importante dans la vie de la reine, car ce sera la première rencontre d'Aliénor et Henri Plantegenêt qui est, à l'époque, un fougueux et séduisant jeune guerrier de dix-sept ans...
L'ombre noire de la catastrophe commence à obscurcir le ciel du
royaume de France lorsque, au début du printemps 1152, l'Archevêque de
Sens déclare nul le mariage entre Louis VII et Aliénor.
Aussitôt, la princesse retourne vers ses provinces d'Aquitaine.
Elle n'y restera pas très longtemps! Le 18 mars 1152, arrive à la cour
de France, une effarante nouvelle : la duchesse et ancienne reine de
France, Aliénor, vient d'épouser son cadet de onze ans, Henri
Plantagenêt, comte d'Anjou et duc de Normandie...
L'orage qui menaçait a éclaté, l'Aquitaine et le Poitou échappent à la
couronne de France.
Cette union matrimoniale sera une des causes de ce que l'on appelle la
Guerre de Cent ans, l'affrontement franco-anglais avancé de deux cents
ans! Les mânes de Suger ont dû frémir dans sa tombe, cela est sûr!
Aliénor fait, paraît-il, un mariage d'amour joint à un savant calcul :
elle espère dominer cet homme plus jeune qu'elle. De son côté, Henri,
certainement sensible à la beauté de la jeune duchesse, accapare ainsi
le quart de la France actuelle et trouve dans cette union tous les
avantages.
Redevenue simple duchesse d'Aquitaine et de Normandie, Aliénor va combler de bienfaits les abbayes de ces provinces, notamment celle de Fontevrault.
En 1153, on fête la naissance du premier héritier mâle chez Henri et
Aliénor. C'est une gifle pour le roi de France à qui Aliénor n'a pu
donner que des filles, mais un heureux présage pour le duc et la
duchesse de Normandie car, l'année suivante, la mort du roi
d'Angleterre permet à Henri et Aliénor d'être couronnés à Westminster
au mois de Décembre de la même année.
Nouvel héritier mâle en 1155. Les dix années qui vont suivre seront
des années de splendeur et de pouvoir pour Aliénor. Elle va donner
huit enfants à son époux : cinq fils dont deux seront rois, Richard et
Jean. Trois filles, dont Eléonore qui sera la mère de Blanche de
Castille et Mathilde qui, mariée au duc de Bavière, sera la tige de la
maison de Hanovre dont les descendants règnent aujourd'hui sur la
Grande-Bretagne.
La reine se déplace sans arrêt, passe et repasse le Channel, parcourt ses provinces continentales ou visite l'Angleterre : Oxford, Winchester. Elle est horrifiée de l'état de délabrement dans lequel est le palais de Westminster, déteste cette habitude anglaise de boire de la cervoise et décide de leur apprendre à aimer le vin, particulièrement le bordeaux! Encouragés de la sorte, les marchands de Guyenne vont apprendre le chemin des ports anglais et mettre en route un marché fructueux!
Henri Plantagenêt, lui aussi, est infatigable. Il parcourt ses
domaines, reprend en main l'administration de l'Angleterre. Lorsqu'il
est sur le continent, Aliénor est dans la Grande Ile et vice-
versa! Deux admirables administrateurs qui vont redonner un sang
nouveau à leur empire, car il s'agit bien d'un empire!
Mais ça n'est pas suffisant! Ils revendiquent la Bretagne,
l'obtiennent. Ce pauvre Louis VII est séparé de cette belle province
par des territoires appartenant aux Plantagenêts et n'en connaît ni la
langue ni les usages! Il la leur cède...
Oui, un véritable empire! Henri et Aliénor possèdent toute la moitié
ouest du royaume de France, à laquelle s'ajoute le territoire anglais.
On comprend mieux les incessantes allées et venues entre le continent
et l'Ile. Il faut dire qu'à cette époque, les souverains et seigneurs
ne cessent de parcourir leurs terres, soit pour maintenir la paix,
soit pour consommer sur place leurs revenus!
Le XIIe siècle n'est pas un siècle statique, bien au contraire. Rappelez-vous les foules de pèlerins circulant sur les routes vers des lieux saints parfois très éloignés : Rome, Saint Jacques de Compostelle, Terre Sainte. Pierre l'ermite, lors de la première croisade, en 1095, prêchée par le pape Urbain, a entraîné des milliers de femmes, enfants, vieillards, miséreux. Partie avant celle des chevaliers, ce "saint voyage" s'est malheureusement très mal terminé.
Aliénor, dans ses domaines, va faire la démonstration de ces dons d'administratrice.On la dit toujours amoureuse d'Henri II, les mauvaises langues qui lui avaient attribué toute une collection d'amants, n'en mentionnent plus aucun à partir du moment où elle devient reine d'Angleterre. A une exception toutefois, le poète Bernard de Ventadour...
Aliénor entre dans ce monde "breton", théâtre des exploits du roi
Arthur. Les passions violentes de la mythologie celtique se teintent
de courtoisie. Apparaît l'Admiration pour la Dame.
L'époque est aux romans de chevalerie, comme l'enseignement religieux
est sur les tympans et chapiteaux des églises romanes.
Les deux Plantegenêts vont fiancer leur fils Henri à Marguerite de
France, princesse née du second mariage du roi Louis VII. Ils ont un
rêve : mettre la main sur le royaume capétien. Hélas, pour eux, ce
rêve va s'éteindre en 1165, sous le coup de l'annonce, tant attendue,
de l'arrivée d'un héritier mâle à la cour de France, le futur
Philippe-Auguste.
L'année suivante, Aliénor donne naissance à son dernier enfant, Jean
(futur Jean Sans Terre, personnage désagréable dont l'Histoire aurait
fort bien pu se passer!). Dès cette année-là, 1166, les époux
s'éloigneront l'un de l'autre. Henri est amoureux d'une certaine
Rosamonde.
La légende raconte qu'Henri aurait fait construire un labyrinthe, y
aurait enfermé sa belle dans une chambre dont lui seul connaîtrait
l'entrée. Mais, poursuit la légende, Aliénor aurait soudoyé des
gardes, trouvé la chambre, et assassiné sa rivale. L'histoire est trop
jolie pour être vraie... enfin, si l'on peut dire!
Par contre, ce dont nous sommes sûrs, c'est le plan machiavélique
conçu par la reine, plan consistant à dresser ses fils contre leur
propre père. La reine affirme :
- L'héritier doit être Henri, déjà associé au trône, ou mon cher
Richard (son préféré) qui est indépendant en tant de duc d'Aquitaine,
ou même Geoffroy, futur duc de Bretagne par son mariage...
Jean, le plus jeune, reste encore à l'écart de toutes ces
conspirations, mais se rattrapera un peu plus tard!
Ce fut une période très noire pour le roi Henri d'Angleterre. Il entre en conflit avec son précieux chancelier Thomas Becket, le fait assassiner sur les marches de l'autel de la cathédrale de Canterbury. Le poids de cette faute va peser très lourd sur les épaules du roi. Excommunié, l'entrée des sanctuaires lui est interdite. Henri crie son innocence, se repent, subit même l'humiliation publique de la flagellation à Avranches...
Aliénor, pendant ce temps, installe son fils préféré, Richard, dans
ses provinces d'Aquitaine, l'entoure d'une cour brillante où poètes et
musiciens se côtoient. Richard est un être cultivé, grand guerrier,
mais s'abandonne à des passions s'éloignant des règles de moralité!
Il fait aussitôt pénitence publique, en cela, il est bien de son
temps, et... recommence!
En tout cas, Richard est heureux en Aquitaine, il préfèrera toujours
cette province au royaume brumeux anglais.
De cette cour raffinée, son père Henri II est totalement étranger,
exclu. Il poursuit d'ailleurs ses rêves de grandeur et veut fiancer
son dernier fils Jean à Alix de Maurienne. Par les Etats de Savoie,
avoir une vue sur l'Italie. Henri promet des villes-clefs à ce fils,
ce qui a pour résultat de pousser l'aîné Henri, l'héritier, à la
rébellion soutenu tout de suite par sa mère Aliénor et par le roi de
France. Situation incroyable!
La révolte gagne du terrain, voici que ses deux autres fils, à leur
tour, rejettent l'autorité paternelle. La guerre balaie les provinces
du Plantagenêt qui tente de faire revenir la reine. C'est trop tard,
Aliénor a demandé asile, mais à qui donc? Eh! bien, tout simplement à
son premier époux, le roi de France! Nouvelle situation impensable!
Alors qu'elle se rend près de Louis VII, des mercenaires, à la solde
d'Henri Plantagenêt, font quelques prisonniers et découvrent parmi ces
derniers, à leur grande stupéfaction, sous des vêtements d'homme... la
reine!
Cette fois, tout s'écroule, ses fils se soumettent, et Aliénor est
emprisonnée en Angleterre en 1174. Elle y restera jusqu'en 1189!
jusqu'à la disparition de son époux.
Durant cette longue, longue captivité, Aliénor devait apprendre le mariage de sa dernière fille et l'annulation des fiançailles de Richard et d'Alix de France. Cette dernière a été séduite par son futur beau-père! Une famille exemplaire!
La reine sera avertie de la mort de son premier époux Louis VII, et
surtout, surtout de celle de son fils aîné.
Après la disparition de ce fils, le Plantagenêt va élargir quelque peu
les horizons de son épouse.
Oh! Il a bien changé. Le fier guerrier est devenu obèse, il marche
difficilement, il a perdu de sa superbe. Aliénor, au contraire, est
toujours belle, sa retraite forcée l'aura, comment dire, assagie et
fortifiée. Elle en donnera la preuve éclatante, une fois rendue à la
liberté, chose faite dès la mort du Plantagenêt, en 1189. Elle a
soixante-sept ans, très agée pour l'époque, est la maîtresse de
l'Angleterre, car Richard, nouveau roi, est la plupart du temps sur le
continent et va réaliser son propre rêve : partir pour la croisade.
Aliénor sera, sans en porter le titre, régente du royaume anglais!
Elle a décidé de marier son fils bien-aimé. Elle veut qu'il donne un héritier à sa dynastie. Aussi, comme il est à Messine, elle lui emmène la jeune Bérangère de Navarre et le mariage est célébré à Chypre, mais sans elle! La reine a repris le chemin de l'Angleterre où, comme elle l'avait prévu, son dernier fils, Jean, intrigue contre son frère. Aliénor se débat afin de conserver à Richard, ses biens. De là, naissance d'une bien jolie légende, celle de Robin des Bois!
Une mauvaise nouvelle survient à la cour, le roi Richard vient d'être fait prisonnier par le duc d'Autriche. Aussitôt, la reine bat le rappel de tous ses vassaux, lève des impôts. Les abbayes se dépouillent de leurs trésors. Il faut payer l'énorme rançon exigée. Une fois la somme requise réunie, Aliénor prend la mer et attend à Cologne le bon vouloir de l'empereur. Enfin, le 2 février 1194, le fils est rendu à sa mère et à l'Angleterre qui leur fait un accueil triomphal.
Il reste à punir les traîtres. Finalement Jean profitera de la
clémence de son frère, peut-être poussé par sa mère qui, désormais, ne
veut plus être qu'un instrument de paix. Aliénor s'est d'ailleurs
retirée entre les murs de Fontevrault, cette abbaye qu'elle a
tellement dotée. Aliénor est très attachée à Fontevrault, abbaye
fondée au XIe siècle par Robert d'Arbrissel, composée de deux
communautés, une de femmes, l'autre d'hommes, mais dirigées par une
abbesse qui devait être une femme veuve.
Le fondateur voulait allier l'expérience et la sagesse ou la
modération qui viennent avec l'âge sans doute!
Aliénor pense y terminer sereinement ses jours. Les nouvelles lui
parviennent très tardivement.
Mais un jour, l'on vient la quérir, Richard, son fils préféré, est
mourant. Blessé au siège de Chalus, il meurt, sa dépouille sera déposé
à Fontevrault en 1199, où il repose toujours près de sa mère.
Se pose le problème de la succession de Richard, inextricable! Le fils
de Geoffroy, petit-fils d'Aliénor, ou Jean?
Et voilà l'infatigable reine repartie sur les routes. Elle a une
préférence quant au futur monarque : ce sera Jean.
Aliénor pense qu'il conservera, peut-être, l'intégralité de l'empire
Plantagenêt. Elle se concilie donc l'Aquitaine et le Poitou, accordant
franchises sur franchises, va prêter hommage au roi de France
Philippe-Auguste pour les territoires sis dans le royaume français.
Aliénor tente de conseiller, de diriger son fils Jean, mais, peu
rassurée de ce côté, part tout de même pour l'Espagne rejoindre sa
fille Eléonore et choisir parmi ses petites filles celle qui est
destinée à l'héritier de France. Son choix se portera sur Blanca,
future reine de France et mère de Saint Louis.
Pendant ce temps, comme elle l'avait craint, Jean accumule les méfaits
(le mot est faible), ligue toute la chrétienté contre lui. Exaspéré,
le roi de France convaincra Arthur de Bretagne de déclarer la guerre à
son oncle Jean sans Terre.
Le nouveau roi d'Angleterre est un être malfaisant et va commanditer
un assassinat. Celui de son propre neveu, Arthur. Que ne ferait-on
pour conserver le pouvoir?
C'est de Fontevrault, où elle s'est de nouveau réfugiée, qu'Aliénor assiste, impuissante cette fois, au désastre. Elle a connu le triomphe de l'empire anglo-angevin et ne peut, hélas, qu'en contempler à présent le déclin.
Peut-être, cette femme à la si brillante personnalité, au destin si fabuleux, qui vécut une si longue vie, a-t-elle finalement cédé au chagrin, à la faillite de ses desseins.
A l'âge de quatre-vingt deux ans, le 31 mars 1204, Aliénor disparaît et repose à présent dans cette abbaye aimée où elle avait décidé de vivre ses derniers instants.