Catherine II de Russie (2 Mai 1729 - 6 Novembre 1796)


Et pourtant, qui aurait pu imaginer le destin fabuleux de cette petite princesse germanique!
Son père, Christian-Auguste d'Anhalt-Zerbst est un de ces petits princes sans envergure qui pullulent en Allemagne. Sa mère, de plus haute lignée, s'en vante publiquement mais, au fond, Johanna n'est qu'une «mégère» criarde et oppurtuniste.
Nous sommes le 2 mai 1729, leur maison attend la naissance d'un fils... déception, c'est une fille, Sophie. Johanna, mécontente, ne s'en souciera pas et prêtera toute son attention à ses garçons jusqu'à un certain jour....
Sophie n'est pas belle. Visage ingrat, petite et boulotte, son physique, elle le sait, n'attire pas.
Par contre, elle s'aperçoit très vite qu'elle charme ses interlocuteurs par son rire, sa gaieté, son esprit.
Elle décide de le cultiver et s'adonne à l'étude. Elle sera une dévoreuse de livres avant de devenir une dévoreuse d'hommes!
Elle apprend un beau jour qu'un de ses cousins Charles-Ulrich de Holstein vient d'être désigné comme successeur de l'impératrice Elisabeth de Russie . C'est une énorme surprise et le mariage de ce prince devient le sujet de conversation favori de toutes les cours d'Europe.
Frédéric II de Prusse prend les choses en main et propose comme fiancée possible une princesse soi-disant sans envergure et de petite naissance, Sophie d'Anhalt-Zerbst...
Et voilà que ses manoeuvres aboutissent!
Johanna et sa fille sont priées de prendre la route de Pétersbourg afin de rejoindre la cour impériale!
Leurs bagages ne sont pas si nombreux, leurs toilettes lamentables. Mais la mère de la future Catherine II pense que la générosité de la tsarine remédiera bien vite à cette misère.
Sophie saute de joie, pensant à un avenir qui s'annonce si brillant! Elle pense aussi à cette immense Russie dont on lui a un peu parlé. Il paraît que des villages entiers et leurs habitants appartiennent à de grands propriétaires qui profitent des générosités des souverains. Et pourtant, Pierre le Grand (+1725) avait essayé d'arracher son pays à l'emprise orientale et le tourner vers l'Occident. Il avait même essayé de transformer un clergé ignare en éducateur, en fonctionnaire zélé!Un grand effort fut tout de même réalisé! Hélas, la tsarine du moment, Elisabeth n'est qu'une virago, une ivrognesse et une nymphomane, quoiqu'elle n'oublie jamais qu'elle est la fille de Pierre le Grand, une Romanoff!
Entre deux soûleries, elle assite au mariage de son héritier Pierre et de la jeune Sophie qui, s'étant convertie à la religion orthodoxe, prend le nom de Catherine.
Mais quel homme est le futur tsar? Qui est ce Pierre de Holstein? Eh! bien, la réponse n'est pas très positive : un mâle vaniteux, fanfaron, sans cervelle. Un être cruel. Ce prince d'origine allemande est fervent admirateur de Frédéric II de Prusse et méprise hautement la Russie. Le futur empereur déguise sa garde personnelle en dragons du régiment de Hostein et les mène à la trique. Il ira jusqu'à renseigner son idole Frédéric sur les forces impériales russes. Pierre n'est pas payé de retour, l'idole le considère comme un demeuré!
Pierre méprise son épouse Catherine, lui reprochant de s'être convertie trop vite à la religion orthodoxe! Bien sûr, cet ennuyeux personnage, cet homme grossier n'a rien en commun avec le charme et la gaîeté spontanée de la jeune princesse.
Il est vrai qu'elle pousse un peu. Sophie-Catherine a décidé de devenir russe! Dans ce but, elle arpente ses appartements le jour et la nuit apprenant la langue de sa nouvelle patrie. Catherine ne manque aucun office orthodoxe. Elle veut tout connaître de cet immense empire sur lequel, elle en est sûre, elle régnera un jour... Elle dira à ses médecins :
- Saignez-moi de ma dernière goutte de sang allemand pour que je n'aie plus que du sang russe dans les veines.
A la cour d'Elisabeth, aimable ou irritée selon la quantité d'alcool incurgitée, tout s'achète.
Les ambassadeurs étrangers se promènent dans les salons, les poches bourrées d'or, prêts à se procurer tous renseignements. Eh! bien, Catherine les leur livrera avec plaisir contre monnaies sonnantes et trébuchantes. Elle a d'importants besoins d'argent! Détail regrettable toutefois, l'ambassadeur de France n'a pas su comprendre qui était réellement la princesse, notre pays ne s'est pas fait une alliée ce jour là!
Le jour des noces, Johanna n'est pas présente, elle a été pour ainsi dire jetée dehors par la tsarine incommodée par le bavardage incessant de la mère de Catherine. Johanna part en emportant quelques robes. Bavarde et voleuse!
Le jeune époux ne vaut guère mieux, le benêt ne s'intéresse pas le moins du monde à sa jeune mariée qui reste bien isolée au milieu de cette cour russe grossière dont la moitié des courtisans, écrit- elle, ne sait même pas lire!
Et toujours pas d'héritier! La tsarine ivrognesse Elisabeth s'inquiète et doute des capacités de son neveu Pierre. Elle prend alors la décision de lui faire subir une opération (bénigne) qui devrait le transformer en homme digne de ce nom.
Oui, mais durant ces huit années de mariage non consommé, Catherine a découvert ce qu'était l'amour dans les bras d'un certain Saltykov. Et elle attend un enfant! L'Histoire va se perdre en conjectures sur le géniteur de ce nouveau-né! Il y aurait de fortes chances pour que son père biologique soit Serge Saltykov. Alors...
S'agirait-il seulement d'un mauvais vaudeville? Le destin aurait-il installé sur le trône de Russie une étrange dynastie issue d'une petite princesse germanique protestante et d'un chambellan de bonne noblesse russe, certes, mais simple courtisan? Ce n'est pas tout! Le futur Paul Ier aura de qui tenir, la mère de Saltykov aurait eu pour amants les trois cents grenadiers de la tsarine! Belle santé! Une saine ambiance familiale, n'est-il-pas vrai? Mais, sans doute ne s'agit-il là que d'affreux ragots!
Cet enfant nouveau né est enlevé très vite à l'affection maternelle, détail peu important dans la vie de Catherine, hélas!
Elle a trouvé un nouvel homme, Orlov, de nouveaux hommes : 0rlov et ses frères!
Catherine est amoureuse, elle le sera chaque fois! Plus tard, Diderot appelera Orlov :
- Une chaudière qui bout toujours, mais ne cuit rien...
Grégoire Orlov quitte les bras de la princesse pour se livrer à une fervente propagande en faveur de sa maîtresse contre Pierre. Tout le monde semble à l'écoute, car la cour s'inquiète de la suite des événements, la santé de l'impératrice déclinant rapidement.
La fille de Pierre le Grand s'éteindra à la fin du mois de décembre 1761 et le demi-fou Pierre devient le maître de la Russie et prend le nom de Pierre III.
En quelques mois, il se rend odieux aux différents corps d'état, à la sacro-sainte garde, sorte de «garde prétorienne» des souverains, puissante et jalouse de ses pouvoirs. Pierre III tourne en dérision le clergé orthodoxe dont il est, en principe, le chef officiel! Nouvel ennemi qui se dresse contre le tout nouveau tsar.
Quant à ses rapports avec Catherine, ils ne sont pas fameux, elle est détestée, bafouée en public, doit s'incliner devant la maîtresse de son époux, etc.
Quelle est son attitude face à ce désaxé? ce dément? Eh! bien, Catherine cache sous un silence désespéré un ventre arrondi, car elle est enceinte de son amant. L'enfant d'Orlov naîtra dans le plus grand secret et disparaîtra, aussi vite que le premier-né, de la vie de sa mère. La cour, paraît-il, n'en sût rien...
La tsarine continue à être malmenée par un époux qui fait peur à tout le monde. Ses excentricités affolent les courtisans témoins de scènes torrides.
Le drame se noue lors d'un banquet, au cours duquel, devant une assistance apeurée, le tsar injurie si violemment Catherine que toute la cour se range aussitôt au côté de l'épouse ainsi maltraitée. Celle-ci a compris que cette haine féroce risque de la mener non seulement vers la répudiation, mais peut-être vers la prison, voire la mort!
Elle doit prendre une décision!
- J'ai décidé soit de régner, soit de périr!
Son entourage va l'aider, soulever la garde, rameuter les hautes personnalités de l'Etat, de l'Eglise, profiter de ce coup d'état mené, non pour elle, mais contre Pierre III!
Orlov vient la quérir :
- Il est temps, il faut vous faire couronner impératrice!
A sa grande surprise, il semble que les russes n'attendaient que cela! Catherine, alors, lit une proclamation, débité avec l'épouvantable accent allemand dont elle ne pourra jamais se défaire. Elle s'occupe de tous : noblesse, clergé, armée, peuple.
Pierre III se retrouve seul, les rats ayant abandonné le navire qui sombre, comme il se doit!
Les courtisans sont partis... offrir leurs services à Catherine! Le 30 juin, Catherine fait son entrée à Petersbourg. Elle a réussi à faire croire à tout le monde qu'elle avait été portée sur le trône par l'enthousiasme du peuple, qu'elle était l'Espoir d'une grande Russie sereine et puissante.
- C'est grâce à Dieu et à la volonté du peuple! assure-t-elle. Dieu, ne l'en déplaise, ne se mêle pas de ce genre de choses et personne n'a jamais rien demandé au peuple russe, bien entendu! Le rêve est devenu réalité, l'insignifiante Sophie d'Anhalt-Zerbst est devenue impératrice de Russie. Pierre a abdiqué. Mis en captivité, il subira le sort suprême des mains d'Orlov. Il sera étranglé, le 7 juillet 1762. Disparition d'un tsar!
En Russie, la couronne n'est ni héréditaire, ni élective, elle est, selon les termes de l'époque, «occupative».
La nouvelle impératrice devient l'ointe du Seigneur, autocrate de toutes les Russies le 22 septembre 1762. Elle n'a pu ignorer la fin terrifiante de l'ancien tsar déchu, mais fait l'autruche. Il est évident que pour atteindre son but, elle devait se débarrasser de cet époux encombrant. Cela ne l'empêche nullement de paraître devant le peuple, baignée de pleurs et de publier sa douleur par un édit!
Que de similitudes au cours de l'Histoire touchant ces coups d'état, ces prises de pouvoir!
Les monarques laissent la sâle besogne à la valetaille et, portant tête haute, affirment tout ignorer!
L'hypocrisie horrifiante des Grands de ce monde fait peur. Ce monde politique rentre dans son jeu, doit nuancer et même feindre de croire. Voltaire qui se fit une gloire de dénoncer les faiblesses des grands, dit poliment :
- Je ne la crois pas aussi coupable qu'on le dit.
Et pourtant, il le sait, Catherine a fait étrangler Pierre III par Orlov. Il saura jusqu'où peut aller sa Sémiramis du Nord lorsque, deux ans plus tard, en 1764, un autre homme payera de sa vie la malchance d'être né prince héritier des Romanov. Il s'agit d'un enfant désigné comme successeur de la tsarine Anne (+ 1740) et destitué par sa tante la tsarine Elisabeth.
Ah! la vie n'est pas tendre dans la famille de Pierre le Grand. Cet enfant, Yvan, règne une petite année, puis est mis en forteresse par sa tante la tsarine. Lorsque Catherine prend le pouvoir, le jeune prince est toujours enfermé derrière de hauts murs mais reste un danger pour la nouvelle impératrice et pour tous les gens avides de pouvoir qui se bousculent autour du trône.
Le prisonnier sans nom doit disparaître d'après les Instructions précises de Catherine le concernant.
Il sera étouffé dans sa geôle... il a vingt-quatre ans.
Voici le début d'un grand règne!
Cette Catherine-Sophie venue d'une obscure province appartenant au roi de Prusse est à présent maîtresse d'un immense empire. Un empire, en 1762, de vingt-trois millions d'habitants, s'étendant jusqu'à l'océan Pacifique. Une Russie d'Europe qui s'arrête à 150 kilomètres de la mer Noire, une Sibérie qui est un désert d'hommes. Quelques villes peuplées! Pétersbourg, évidemment, capitale de 200.000 personnes. Sinon, on ne rencontre que de petits bourgs, d'immenses propriétés agricoles et quelques rares industries.
Le gros de la population est représenté par les paysans. Ils étaient libres jusqu'au XVIIe siècle, mais sont la propriété, pour la plupart, de l'aristocratie et rares sont ceux qui arrivent, en payant une énorme redevance, à s'élever dans la hiérarchie sociale et sortir de leur misère.
Catherine II est, pour la postérité, la Grande Catherine ou mieux Catherine le Grand. Il paraît qu'elle était remplie de bonnes intentions et de projets philanthropiques car elle s'est nourrie des théories des philosophes de ce siècle des Lumières!
Mais, tout de même, introduire dans l'empire ces idées «folles» des philosophes, lui semble représenter un danger réel. Il est plus facile et tellement plus agréable de giberner passionnément et librement par courrier. Voltaire, Diderot seront les correspondants de ces entretiens «d'homme à homme» qui vaudront à l'impératrice une réputation de monarque libéral. Ah! la route est longue et semée d'embûches entre la théorie et la réalité...
Elle veut et va passer pour un de ces monarques éclairés. Elle se dit scandalisée par la situation des serfs et a peut-être sincèrement pensé y remédier, mais elle est bloquée par la noblesse qui l'a portée sur le trône et ne peut ou ne veut lui déplaire, ni toucher à ses privilèges. Pourtant elle a quasiment insulté les Grands dès son arrivée, leur reprochant :
- leur attitude à l'égard de ceux que la nature a placé dans cette malheureuse classe qui, sans crime, ne saurait rompre ses fers... Le petit peuple sera gavé de conseils et de reproches :
- O funeste intempérance! Fille actuelle de la folie!
L'impératrice fait allusion à un vice, hélas, bien connu des russes, l'alcoolisme. Toutes les manifestations populaires, religieuses, sont autant d'occasions de beuveries impressionnantes.
En fait, Catherine va continuer gaiement à se fabriquer des fidèles, leur distribuant rentes, terres comprenant le cheptel moujik par milliers. C'est un ancien et excellent système qui a fait ses preuves depuis les tous débuts de l'humanité. Il faut donc le conserver! Elle a fait paraître oukase sur oukase, décret sur décret. Mais nul n'a été appliqué. Catherine est pourtant une grande travailleuse, un infatigable chef d 'Etat.
Chaque nuit, elle se glisse hors des bras de l'amant du jour, du mois ou de l'année, et, à la lueur tremblante d'une bougie, écrit inlassablement à ses nombreux correspondants philosophes européens. Elle a une devise :
- Nulla dies sine linea
Elle les invite à Pétersbourg. Seul Diderot osera se risquer, les autres ont une peur bleue de ce pays sauvage. Diderot, le seul de ces sommités intellectuelles à accepter l'hospitalité de la tsarine, fut d'abord un objet de curiosité pour la cour impériale, mais semble n'avoir guère laissé de traces durables. La mode des belles idées des philosophes ne dépassera pas les dorures du palais ou celles des maisons de l'aristocratie. Diderot finit par ennuyer tout le monde y compris sa bienfaitrice! On le renvoie chez lui. Même exilé, il continue à louanger l'impératrice. Et il n'est pas le seul!
Les splendides intellectuels, avec un bel ensemble, entonnent d'une même voix le «Te Catharinam laudamus». S'il y a un trait de caractère chez la tsarine dont on est sûr, c'est sa fatuité.
Les fumées de l'encens ne gêneront jamais Catherine! Ces intellectuels sont les thuriféraires des réformes du code, de tout ce qu'elle fait ou va faire pour le bien du peuple!
Elle est la «Cateau» de Voltaire. Il en est fou, lui adresse des louanges hyperboliques, mais n'ira jamais lui rendre visite, de même d'Alembert qui, pourtant, a rang d'ambassadeur et une rente de 10.000 roubles par an. Non, d'Alembert se souvient de la mort suspecte de Pierre III dûe, a-t-on raconté, à une colique hémorroïdale (!) et se confie à Voltaire :
- Je suis trop sujet aux hémorroïdes, elles me paraissent très sérieuses en ce pays (la Russie) et je veux avoir mal au derrière en toute sécurité!
Le polémiste de Ferney, lui, aurait même imaginé se faire enterrer en terre russe peut-être afin de demeurer plus près de son Incomparable, son Astre du Nord. Il chante, en solo :
- O Catherine ! Heureux qui vous entend !
Par votre esprit, vous étonnez le sage
Qui cessait de l'être en vous voyant...
Catherine, la sanglante, est ainsi portée aux nues! Apprenant l'assassinat d'Yvan VI dans sa prison, Voltaire, d'abord horrifié, sombre bientôt dans l'indulgence et oublie ces bagatelles.
Néammoins, le XVIIIe siècle, dit siècle des Lumières, est une ère de progrès. Les monarques sont, à présent, des despotes éclairés!
Catherine II ne décide que quelques réformes mesquines qui ne doivent, en aucune manière, menacer la puissance de l'Etat, ni celle de la noblesse qui le soutient.
L'autocratie appliquée alors en Russie ne peut être compatible avec les libertés que la bourgeoisie occidentale est en voie d'obtenir S'il y eut quelques avancées, elles seront faites dans le but de faciliter les progrès économiques. Ce qui est bien. Mieux l'entreprise fonctionne, meilleurs seront les résultats et mieux peuvent être rétribués les employés.
L'ordre, pour l'impératrice, doit être et demeurer monarchique et seulement monarchique! Il ne faut donc pas trop lâcher la bride, sinon danger!
En 1767, une grande Commission doit codifier et donner force de loi à une «Instruction» de l'impératrice. Ce Nakaz, à l'intention des députés, accomodant «L'Esprit des Lois» de Montesquieu, enveloppe de nébulosité les allusions au servage. Il est seulement recommandé aux propriétaires de ne pas abuser de leurs pouvoirs... oui, on pensera à libérer les serfs, mais les choses doivent se passer progressivement. De toutes façons, il n'est pas question de toucher aux privilèges de la noblesse!
En effet, après 1768, Catherine, loin de toute idée libérale, se servira uniquement de ce qui peut contribuer au renforcement de l'Etat et à l'extension des privilèges de ses cadres!
La reine veut impressionner la vieille Europe par les nouveautés de son administration. Elle sait écouter les merveilleux intellectuels qui sont les rénovateurs de ces monarchies démodées existant à l'ouest.
Ah! on raconte que la Russie est un pays sauvage, inculte et grossier. Eh! bien, voici une reine qui a compris son peuple et ne pense qu'à l'affranchir de ses misères...
La charte de 1785 battra en brêche l'étatisme de Pierre le Grand : - Le pouvoir de l'Etat passe aux mains de la noblesse. La classe privilégiée ne paiera toujours pas d'impôts...
Ne rêvons pas davantage, il existera toujours, sous différents aspects... des privilégiés.
Catherine oeuvre pour la glorification de l'empire. L'empire c'est elle, donc elle oeuvre pour sa propre gloire. Elle réussira grâce à sa capacité de travail, son courage indomptable, son don de l'organisation.
Elle se libère dans une correspondance impressionnante. L'impératrice veut séduire ce milieu d'intellectuels d'Occident, elle se fait mutine, s'essaie à paraître modeste. Et pourtant...
Cette si grande gloire sera ternie par des actes terrifiants : Elle est coupable d'avoir fait assassiner deux tsars, dont son époux (même s'il s'agit d'un minable!).
Elle est coupable d'avoir donné de l'espoir à son peuple et laissé avorter de superbes projets.
Elle est coupable d'avoir écarté son fils du trône...(ce qui n'était sans doute pas une erreur!)
Porteuse de tous ces méfaits, elle se rue à la tâche afin d'être la plus grande par les oeuvres de sa vie et faire oublier sa petite naissance, ses fautes et sa vie déréglée.
L'écrivain Zoé Oldenbourg lui passe tout, lui pardonne tout.
- Beaucoup de crimes politiques ne sont que des rouages d'un mécanisme si rigoureux qu'il est presque vain de chercher les coupables. dit- elle très sérieusement.
La flatterie grisera la tsarine. On entend :
- Savez-vous où est le Paradis? Il est partout où se trouve Catherine II!
Ravie, Catherine se grise au milieu de sa cour dont elle est l'âme. Un petit bout de femme, rondelette, nez et menton pointus, qui aime la gaieté, le rire. Par contre, l'impératrice ne supporte ni la vulgarité, ni les propos grossiers et de mauvais goût.
Elle ne supporte pas les plaisanteries polissones, ni les attitudes provocantes ou les familiarités de la part de l'amant du moment. Amant qu'elle loge dans des appartements tout contre les siens pour ne pas perdre de temps sans doute!
Comme on peut le lire dans les romans du XIXe siècle, Catherine vit ses aventures comme un homme, mais n'utilise pas de garçonnière!
En devenant russe, en devenant impératrice, elle a changé de sexe, elle a la mentalité d'un mâle conquérant.
Elle choisit les plus beaux éphèbes, s'ils se montrent bons dans certains exercices très privés, elle les usera jusqu'à la corde, sinon ils seront renvoyés à leurs chères études! Qu'importe leur intelligence limitée, ils ne sont pas recherchés pour leur conversation!
L'impératrice mène, en quelque sorte, une vie régulière. Elle n'est guère attirée par les plaisirs de la table, ne s'y entend pas en musique.
Travaillant énormément, son seul repos, sa seule détente : l'amour physique... Mais il lui faut un partenaire qui y excelle, bien sûr! Henri Troyat remarque :
«L'amour ne doit pas donner prétexte à la plaisanterie!»
Opinion de l'impératrice aussi exaltée dans sa chambre que pudibonde dans un salon.
Et pourtant, avant les Orlov, Catherine eut un amant qui lui vouera un amour éternel, sera son homme de paille, supportera péniblement la couronne de Pologne qu'elle lui a posé sur la tête, perdra honneur et dignité pour elle, n'ayant jamais compris pourquoi elle l'avait rejeté. Cet homme, s'appelle Stanislas Poniatowski.
Cette année là, 1768, le pauvre Stanislas n'en finit pas de reculer devant l'impératrice qui avance en Pologne. Une fois encore, les Polonais sont envahis, brimés, oubliés. Cette intervention inquiète fortement l'Europe occidentale qui décide une stratégie plutôt tortueuse : ils vont mêler à l'affaire le pays voisin, la Turquie. Le plan fonctionne à merveille, la Sublime Porte déclare la guerre aux ennemis du Prophète.
Au fond, Catherine est ravie, elle va peut-être réussir à annexer l'objet de ses désirs : la Crimée.
Frédéric II de Prusse parle d'une :
- guerre des aveugles contre les paralytiques!
Mais non, pas du tout. L'empereur n'a rien compris. La Russie vole de victoire en victoire.
Cela se passe si vite que les souverains européens s'affolent. L'Autriche et la Prusse se concertent :
- Il faut s'opposer à ce torrent qui risque de submerger le monde. Versailles enrage, Londres s'inquiète. L'ogresse Catherine fait trembler le Vieux Monde et ose donner pour excuse la philosophie libérale!
Le 5 août 1772, le monde peut assister à un nouveau dépeçage de la Pologne. Un tiers de son territoire disparaît ainsi.
- Oh! ces amputations ont été faites pour rétablir l'ordre dans l'intérieur de ce pays...
affirme la Russie accompagnée de l'Autriche et de la Prusse qui participent à la curée.
Le meilleur est à venir, la tsarine ne va-t-elle pas soutenir la cause les Corses de Paoli contre la France qui les opprime!
Elle écrit :
- Mon Dieu, sauvez la Corse des mains de ces coquins de Français... (on aura tout entendu!)
Au fait, un de nos compatriotes a-t-il été sur la célèbre liste des amants impériaux? Une énumération qui n'en finit plus et pourrait lasser à la longue!
Lorsque Catherine s'est débarrassée d'Orlov, elle avait été impressionnée par un énorme mâle, laid et borgne mais qui la charme fort. Un jour il revient à la cour et fait jeter dehors le benêt de service muni toutefois d'un viatique : 100.000 roubles et 7.000 (!) paysans...
- Il a la tête pleine de foins, déclare l'impératrice imperturbable. Peut-être, mais le benêt part les poches pleines.
Le nouveau, c'est Potemkine, l'énorme mâle qui inspire la reine : - (...) mon unique chéri, mon petit Grisha a étanché ma soif. Je te remercie de ton régal d'hier!
Une chatte en chaleur, voila ce qu'est devenue le despote éclairé, la maîtresse de cet immense empire. Elle écoute ses avis, ses conseils, discute avant ou après l'amour des affaires de l'Etat.
Le bruit courut qu'elle l'avait épousé! L'époux a été décoré par les grandes nations sauf par la France qui lui refuse l'Ordre du Saint- Esprit et l'Angleterre, celui de la Jarretière. Il semble être le slave typique, grand dépressif.
Cette passion dévorante va évidemment s'atténuer, mais Potemkine voulant conserver son emprise sur la tsarine, agira désormais en pourvoyeur, choisira ses remplaçants pour occuper les nuits tandis qu'il garde l'oreille, le conseil. Cela paraît avoir été un fructueux marché! Plus l'âge vient, plus l'impératrice est amateur de chair fraîche!
Heureusement, elle se fait aussi amateur d'art, acheteur de tout ce qui doit faire pâlir d'envie la vieille Europe, pour la grandeur de la Russie. Elle charge, pour cela, ses correspondants favoris, Diderot, Grimm, de lui dénicher ce que l'on fait de mieux.
Elle rafle, sous le nez des autres souverains, des collections entières provenant de successions ou autres ventes. Il lui faut tout et tout de suite. Comme en amour, comme en politique, elle est insatiable!
En 1785, deux mille six quatre vingt cinq toiles seront en sa possession.
Pour les abriter, Catherine construit un musée dans sa capitale, Saint-Pétersbourg. Ce sera l'Ermitage, palais commandé à un Français, un certain Vallin de La Mothe. L'impératrice remplit le palais de ses achats, de ses commandes : peintures, objets d'art envahissent les immenses salles.
Les Raphaêl, Poussin, Van Dyck, Rembrandt, Véronèse, Titien, Clouet, Murillo etc. déferlent sur Pétersbourg.
L'impératrice lance des commandes à Chardin, Vernet. Une Diane de Houdon débarque, déesse refusée par le Louvre parce que trop dévêtue! Elle achète, à la mort de Voltaire, son énorme bibliothèque contenant des manuscrits et de nombreux ouvrages annotés de la main du maître. Falconet doit exécuter pour elle une gigantesque statue de Pierre le Grand. On posera cette plaque :
A Pierre premier
Catherine deux (sic)
Tout le monde connaît son goût pour l'art français. Certains, parmi ses sujets, jaloux, affirment leur désapprobation. Catherine II n'aime pas la France de Louis XV mais sera durement frappée par le drame subi par son petit-fils Louis le seizième.
Des petits-fils, Catherine en aura, ce sont les enfants de ce Paul Ier dont le père putatif serait le tsar dément Pierre III. Paul est un héritier inquiétant que sa mère écarte résolument du pouvoir, il aura dix enfants dont Alexandre né en 1777 (un nouveau conquérant, peut-être?) puis, en 1779, Constantin (Byzance, dans le giron de la glorieuse Russie!) et enfin Nicolas. Il est évident que la tsarine a choisi les prénoms prestigieux de sa descendance.
Ah! le bonheur, la gloire de la grand-mère qui, dès le premier cri du nouveau-né, l'emporte jalousement dans ses appartements où elle l'élèvera selon ses principes et en fera de grands rois.
Catherine se laisse emporter par un mirage splendide où elle admire le résultat de son oeuvre et ses petits-fils à la tête d'immenses empires, cadeaux préparés par leur admirable aïeule...
En effet, elle commence par annexer la Crimée en 1784 au nez et à la barbe des Turcs qui ne bougent pas pour le moment. Le vieux rêve s'est réalisé. Catherine délègue le gros Potemkine et lui ordonne de régénérer la province. Ce que s'empresse de faire, à coups d'argent, le favori. Il est si fier de sa réussite qu'il supplie sa reine de venir admirer son oeuvre.
Mais oui, l'impératrice viendra et ce sera un voyage fabuleux, une flotte digne de Cléopatre navigue sur le Dniestr emportant reine et roi (Joseph II d'Autriche, ébahi et effaré, a été convié à cette croisière!) ainsi que de nombreux courtisans. Des villages, des palais seront construits le long des rives, et détruits après leur passage, dégageant ainsi une impression de prospérité et richesse qui n'est, la plupart du temps, qu' éphémère hélas!
L'impératrice émergera de ses rêves de façon brutale : la Turquie, pas résignée du tout, déclare la guerre à la Russie et au pauvre Potemkine qui n'a plus vingt ans. Le guerrier est fatigué, il piétine, déprime, car la Suède, de son côté, rassemble ses armées.
Ah! la période n'est plus aussi faste à la tsarine qui a bien des soucis : son allié Joseph d'Autriche essuie des revers et une nouvelle inquiétante vient de franchir les frontières, une effarante nouvelle : la prise de la Bastille à Paris. Que faut-il penser de cet événement? Catherine, à présent, a soixante ans et vient d'ouvrir son lit à une jeunot de vingt ans, un nommé Zoubov.
- Rien ne se fait plus sans lui... murmure-t-on à la cour. C'est une passion aveugle. Zoubov a tous les pouvoirs. L'amante en perd sa lucidité pourtant légendaire.
Catherine perd aussi ses amis, ses correspondants français. L'exécution de Louis XVI la rend malade et il y a de quoi! On partage à nouveau la pauvre Pologne qui n'en finira donc jamais d'être avalée par ses voisins!
Catherine n'est plus Grande, elle se laisse manipuler et ne tente pas de retenir le potache idiot Zoubov qui veut partir à la conquête de ... la Perse! Rien que cela!
Non, les Russes ne franchiront pas l'immense désert de mille kilomètres, l'impératrice ne recevra pas les roses d'Ispahan! Elle n'aura pas non plus le temps de réaliser son rêve le plus cher : désigner pour successeur, son petit-fils Alexandre. Le manifeste devait être rendu public le 24 novembre 1796, mais ne parut jamais, car le 6 novembre de cette même année :
- (...) le quart de dix heures sonna et Catherine la Grande, ayant poussé un dernier soupir à l'égal de tous les mortels, comparut devant le tribunal de Dieu.
Alors, que dire en guise de conclusion?
Je pense que la vie de Catherine II est faite de contradictions énormes : louanges hyperboliques ou dénigrement systématique, libéralisme et absolutisme, pacifisme et impérialisme.
Catherine se dit protectrice des Arts et des Lettres, mais emprisonne les écrivains qui ne font pas partie des louangeurs!
Elle est admiratrice des philosophes des Lumières mais vitupère contre la Révolution Française qui a jeté à bas et d'horrible façon la Monarchie.
Au fond, une chose, une seule, aura guidé sa vie : le pouvoir, la consolidation de ce trône auquel sa naissance ne l'avait pas destiné! A sa mort, tout fonctionne, l'autorité est incontestée. La Russie agrandie, disciplinée a sa place en Europe. Quel destin et surtout quelle Femme!